La réforme des universités comme la mobilisation contre ce projet de loi ont été comme suspendues pendant le confinement. Mais elles reviennent maintenant avec force. L’action est en court de reconstruction, avec un premier rassemblement vendredi 12 juin place de la Sorbonne.
Le 5 mars dernier, une mobilisation d’une ampleur inédite avait ébranlé l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR). Alors que les politiques menées depuis plusieurs décennies ont réduit progressivement les moyens de la recherche publique, le gouvernement venait de dévoiler son projet de « Loi de programmation Pluriannuelle pour la Recherche » (LPPR) : un arsenal de mesures pour faciliter la course au profit en mettant la recherche au service des intérêts privés.
Le confinement a interrompu la mobilisation qui montait dans les universités et les laboratoires, portée notamment par des collectifs de précaires qui tentaient d’alerter sur la situation dramatique d’un système qui ne tient plus que par le recours massif à l’emploi précaire (vacations, contrats courts…).
L’impréparation face au Covid19 a mis en lumière les conséquences d’une politique de recherche indigente et soumise aux intérêts privés : des années de retard pris dans la recherche sur les coronavirus puisque cette recherche était non rentable à court terme. La grande farce médiatico-politique à laquelle nous assistons désabusés autour de la choloroquine met aussi en évidence les failles d’un système fondé sur la course au buzz et au résultat tape à l’œil qui donnera bien plus de chance d’obtenir des financements qu’une recherche patiente et méticuleuse…
Les plus naïfs auraient pu croire que la leçon porterait et qu’au sortir de la crise des moyens la politique de recherche serait remise à plat. Las, c’était sous-estimer la capacité de ce gouvernement à ne rien entendre et à appliquer sa politique « coûte que coûte ». Le confinement se relâche à peine que la LPPR ressort de sa tanière.
La Loi devrait être présentée le 8 Juillet en conseil des Ministres, son contenu vient d’être dévoilé. Sur les 24 articles, seuls 2 concernent la programmation budgétaire qui donne son nom à la loi. Les autres organise une attaque en règle contre tout ce qui peut gêner la course aux profits et c’est bien le véritable objectif de cette loi.
Affaiblir l’emploi titulaire et renforcer le contrôle sur les travailleuses et travailleurs de l’ESR
Les attaques contre les conditions de travail et les statuts des travailleuses et travailleurs concerne toutes les strates de l’ESR.
Les « Tenures Track » vont permettre de contourner les statuts de directrice/directeur de recherche ou de professeurEs des universités. Un établissement pourra recruter une personne comme contractuel pendant deux fois trois ans avant – éventuellement – de lui proposer une (pas tout à fait) titularisation en contournant la voie normale des concours nationaux. Voilà donc des salariéEs bien dociles, soumis à leur recruteur pour espérer assurer leur avenir. Voilà donc un recrutement qui ne tient plus compte de compétence validée par les pairs dans des concours nationaux, mais de l’intérêt des directions d’établissement pour un individu ou un sujet de recherche…
Pour les autres – ITA, BIATSS… – la loi instaure le CDI de mission scientifique : un CDI qui n’a d’indéterminé que le nom puisque le contrat est lié au projet qui le finance et peut donc s’arrêter à tout moment ! Un statut en réalité plus précaire qu’un CDD qui à l’avantage pour le recruteur de ne pas risquer une requalification en CDI s’il se poursuit pendant plus de 6 ans. Ce qu’on nous propose donc c’est bien des contrats précaires à vie, soumis à l’obtention de financements sur projets tous les 3 à 5 ans dans le meilleur des cas.
Pour s’assurer de la docilité des salariéEs, la loi renforce le poids des primes qui seront à la discrétion des directions d’établissement.
Et dernier étage de la fusée : la généralisation à l’extrême du financement sur projet en remplacement des crédits récurrents. Ce système a pourtant montré toute sa nuisance à l’occasion du Covid19 puisqu’on a découvert que les équipes travaillant sur les coronavirus ces dernières années peinaient à faire financer leurs recherches jugées peu « compétitives » dans le cadre de ces appels à projets.
Portes grandes ouvertes aux intérêts privés
L’autre objectif de cette loi c’est de mettre les laboratoires et les universités publiques au service des intérêt privés.
Ainsi, la création de contrat doctoraux et postdoctoraux de droit privé permet de transformer ces statuts dédiés normalement à la « formation par la recherche » en sous-contrat précaires auxquels les dispositions légales des CDD ne s’appliqueront même pas. On offre aux entreprises des travailleuses et travailleurs ultra qualifiés, forméEs dans un cadre et avec des moyens publiques, encadrés par des salariéEs du publics et corvéables à merci puisque l’obtention d’un diplôme ou l’espoir d’un poste les conduisent à tout accepter pour aller au bout de leur contrat…
La Loi ouvre encore plus de possibilités pour cumuler activités dans le privé et dans le milieu académique : un mélange des genres qui généralise les conflits d’intérêt et le siphonage des laboratoires publics par les intérêts privés. Les recherches coûteuses sont réalisées dans le cadre publique, les profits engendrés sont récupérés directement dans les boites privées.
Un passage en force à la faveur de la débâcle
La LPPR fait l’unanimité contre elle et on ne compte plus les motions de laboratoires, conseils académiques, sociétés savantes, sections du CNRS et collectifs divers pour dénoncer ce qui n’est qu’une vulgaire casse de l’enseignement et de la recherche publique. La ministre de l’ESR, Frédérique Vidal, tente donc le passage en force en profitant du fait que les labos sont paralysés par le confinement, les étudiantEs isoléEs et fragiliséEs et les mobilisations rendues difficiles par les mesures liberticides de la loi d’urgence sanitaire.
Le CNESER (Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), censé représenter la communauté ne disposera que de 5 jours pour rendre son avis sur cette loi qui ouvre de nombreux fronts. Ce délai ridicule marque encore une fois le mépris du gang Macron pour tout ce qui peut encore ressembler à de la démocratie.
L’ensemble de l’ESR, tous statuts confondus doit se mobiliser pour mettre un coup d’arrêt à cette loi et à la politique qu’elle sert. Il faut obtenir le retrait de la LPPR et engager une lutte contre la précarisation, pour des moyens récurrents et suffisants, pour une recherche au service de toutes et tous et débarrassée des intérêts privés.
Pour cela il nous faut se retrouver entre collègues, réactiver les collectifs, les comités de mobilisation de cet hiver pour déterminer les modalités d’action (grève, retenue de notes, boycott des jury…) permettant d’instaurer un rapport de force avec le gouvernement. La coordination des facs et des labos en lutte du 6 juin a d’ores et déjà appelé à se rassembler partout en France ce vendredi 12 juin, passage du texte au CNESER.