Pourquoi voter Philippe Poutou le 10 avril ?

Comme à chaque élection présidentielle, la petite musique du vote dit « utile » se fait de plus en plus assourdissante. Si elle a été longtemps, à gauche, utilisée par le Parti Socialiste pour empêcher l’émergence de la gauche radicale, c’est aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et ses partisansEs qui usent de cet artifice. Entre duperie et dépolitisation, il faut rejeter en bloc cette logique-là car la vie politique ne se résume pas à la présidentielle.

Comment la gauche pourrait-elle gagner cette élection ?

L’argument principal avancé et répété en boucle est que le candidat de l’Union Populaire peut créer la surprise et l’emporter, ou tout le moins se qualifier au deuxième tour. Sans vouloir briser l’enthousiasme, il est tout de même assez important de rappeler quelques éléments chiffrés.

Commençons par regarder les sondages puisque, précisément, la logique du « vote utile » se base principalement sur les sondages. Pour l’heure, à aucun moment depuis le début de la campagne, Jean-Luc Mélenchon n’a été en mesure de se qualifier au second tour. S’il faut admettre qu’il y a une montée entre les derniers mois et aujourd’hui (entre 8/9 % jusqu’à 14/16,5% désormais en moyenne), celle-ci est à mettre en relation avec les courbes des autres candidatEs. Ainsi, s’il est vrai que Pécresse et Zemmour enregistrent une nette baisse, cela se fait au service d’une Marine Le Pen bénéficiant, quelque part, d’un vote utile à droite et à l’extrême-droite. Les derniers sondages donnent la candidate du Front National à 20/22 %, ce qui est largement au-dessus de Mélenchon, et cette dynamique devrait se poursuivre avec la baisse de Pécresse et Zemmour. Mais l’écart est encore plus impressionnant avec Macron. Le candidat/président a quasiment toujours fait la course en tête, avec 20/25 %. L’agression de Poutine sur l’Ukraine lui a permis de faire un bond supplémentaire, allant jusqu’à 30 % et plus d’intention de vote au premier tour. Macron connaît toutefois à nouveau une baisse significative, et il est de nouveau autour de 27 %. Cela reste quand même plus de 5/7 points de plus de Le Pen et plus de 10 points de plus que Mélenchon.

Bien évidemment, ce ne sont que des sondages et ceux-ci peuvent se tromper… c’est bien pour cela, d’ailleurs, qu’il est très dépolitisant de faire de la tactique électorale à base de sondages. Il est donc plus intéressant de lire les courbes de sondages, et les dynamiques de campagne. Et là encore, si les statistiques sont bonnes pour Mélenchon (meetings réussis, sondages en hausses…) il en est de même pour la candidate du FN, dans son style, malgré une saignée de cadres vers le fasciste Zemmour (ce qui montre néanmoins, et malheureusement, qu’elle a une base électorale solide).

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de se réjouir de cette situation. L’extrême-droite et la droite à plus de 60 % est un phénomène politique dramatique. Simplement, nous ne pouvons pas, pour répondre à cette problématique, mentir ou user de la méthode Coué. Il faut garder la tête froide. Car dans l’hypothèse déjà peu crédible d’une accession de la gauche au deuxième tour (7 points à remonter en une semaine selon les instituts sérieux), celle d’une victoire est encore plus inconcevable. La marche semble trop haute et, plutôt que semer des illusions, il serait judicieux de préparer l’étape d’après : quelle mobilisation, quelle recomposition politique, comment reconstruire des cadres militants ? L’élection présidentielle, autour d’un seul homme (et même si celui-ci a un programme), est un véritable piège pour la gauche. Elle désarme les masses, elle pousse à tous les sectarismes et à l’invisibilisation des partenaires de lutte. Pourtant la gauche est aussi forte de ses différences, et il est important de ne pas l’oublier avant de donner un blanc-seing à une seule personnalité.

Repolitiser la politique

La gauche ne pèse quasiment plus rien électoralement. Pourtant le prolétariat est plus grand que jamais, mais il est éclaté et individualisé. L’enjeu n’est même pas de populariser un programme. Le programme nous le connaissons globalement, c’est une société sans classe sociale, une société égalitaire, émancipée, écologiste, internationaliste. Les chiffrages ne servent qu’à se faire bien voir du système, ce qui compte c’est la volonté politique d’appliquer un programme de rupture avec le capitalisme : autrement dit, la construction du rapport de force social. Bien entendu il y a des désaccords importants entre les différents candidatEs de la gauche sur la question du programme, mais ce n’est fondamentalement pas ça qui empêche de faire cause commune sur moult luttes et même dans des élections. Ce qui bloque, ce sont plusieurs autres éléments décisifs. D’abord la pratique militante commune. À gauche, on se parle peu, on agit peu ensemble, on ne débat pas beaucoup non-plus. Quelque part heureusement qu’il y a des élections pour qu’on puisse mettre à jour ces désaccords et les discuter. Mais c’est très insatisfaisant et, hors période électorale, il y a un manque criant de militantEs pour les luttes du quotidien. En réalité, tout groupe souhaite imposer sa pratique, son programme – son hégémonie en somme – sur les autres. L’unité, tout le monde est pour, mais seulement derrière lui ou elle. C’est pourtant une négation de « l’unité » qui, pour se faire de façon solide, nécessite des débats, des engueulades, puis des mises en commun, des accords politiques, ou des désaccords si, vraiment, ceux-ci sont trop importants et impossibles à surmonter. Car l’unité de la gauche n’est pas un objectif politique en soi : de quelle gauche parle-t-on ? Beaucoup de personnes appelant à l’unité de la gauche ou au « vote utile » oublient un peu vite que cette gauche a déjà été au pouvoir à plusieurs reprises. Mélenchon a été élu quasiment toute sa vie (et très longtemps au PS), il a même été ministre. Le PCF a lui aussi été au gouvernement à plusieurs reprises avec le PS et gère des villes, des régions, des départements avec le PS. EELV a été membre du gouvernement Hollande, et gère également plusieurs institutions locales avec la « gauche plurielle ». Certes, dans le cas de Mélenchon, la rupture avec le PS a été assumée, ce qui n’est pas le cas du PCF et de EELV. C’est pour cela que nous n’avons pas la même attitude vis-à-vis de la FI avec qui nous discutons et il nous arrive même de nous présenter ensemble lors d’échéances locales. Néanmoins, la rupture avec le réformisme, elle, n’a pas été opérée. En effet, à titre d’exemple, la FI a participé à des accords électoraux au second tour des régionales dans dans plusieurs régions, dont les Hauts-de-France et l’Île-de-France, avec le PS et EELV. Plus fondamentalement, la France insoumise n’est pas une force anticapitaliste : elle ne remet pas en cause l’état bourgeois, ne souhaite pas socialiser l’économie, ni instaurer une démocratie directe, et bien d’autres mesures radicales. C’est une force réformiste (avec qui nous avons des accords programmatiques), de type social-démocrate (au sens vrai du terme) respectable. Toutefois, les sorties populistes et nationalistes de Mélenchon sont souvent très rebutantes. Nous condamnons clairement l’absence de soutien à la révolution syrienne, ses propos sur les tchétchènes, sur les peuples opprimés de Chine, sur les travailleurs détachés, sur les allemands, sur Dassault, etc, etc.

La polémique ici ne vise pas à dire du mal pour dire du mal. Mais à discuter du fond. Il y a besoin de poser les problèmes pour les surmonter ou les noter comme insurmontables. Appeler à un ralliement sans surmonter les questions de fond est une faute politique. D’abord parce que ça ne marche pas, personne ne se résoudra à ne pas défendre TOUTES ses idées (sauf pour quelques postes, mais ce n’est pas le cas des anticapitalistes). Ensuite parce que cela tue la politique. Il faut le dire : nous rejetons la Vè république jusqu’au bout, et dès maintenant. Il y a donc besoin que tous les courants soient présents et défendent leurs idées. La logique du vote utile peut avoir un effet pervers : Mélenchon ne gagnant pas mais étant le candidat de gauche largement en tête devant touTEs les autres. Autrement dit, un Mélenchon hégémonique sur la gauche, alors que celui-ci ne représente qu’un courant de la gauche et qu’il aura reçu des centaines de milliers de voix de gens ne défendant, concrètement, pas sa politique. Et donc 5 ans de plus d’hégémonie, de difficultés à travailler ensemble, à mettre la question de la révolution sociale au coeur des discussions puisque l’objectif des réformistes est toujours l’élection d’après. C’est pourquoi il faut voter pour ses idées, ne pas céder au ralliement vers un candidat avec qui nous ne sommes que partiellement d’accord, car cela amplifie l’effacement des autres. Ce vote de « coeur » ou de conviction peut très bien être un vote Mélenchon ! Cela est tout à fait respectable et, d’ailleurs, respecté, puisque nous ne demandons à personne de changer son vote, nous cherchons simplement à convaincre celles et ceux qui pensent que Philippe Poutou et le NPA ont raison, de glisser le bulletin Philippe Poutou dans l’urne et, cerise sur le gâteau, de nous rejoindre pour construire, toutes et tous ensemble, une organisation rassemblant des milliers d’anticapitalistes. Ça passe par une bonne campagne, beaucoup de voix et de la détermination. Concluons avec Alain Krivine, camarade qui nous a quitté il y a peu : « Pourquoi ne pas réapprendre à rêver d’une société plus juste, où les critères ne seront plus les cotations en Bourse mais la satisfaction des besoins que la population aurait démocratiquement décidée ? Seuls les conservateurs ne rêvent pas. Nous, pour changer le monde, nous avons besoin du rêve pour lutter, ensemble. Tous ensemble. ».

Alexandre Raguet

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