Critique de la police à travers les chansons de Renaud

Alors qu’une polémique a enflammé la toile et les plateaux télés suite à des propos de Philippe Poutou affirmant que « la police tue », allant même jusqu’à une menace de plainte du ministre Darmanin, nous voulons par cet article mettre en lumière des critiques de la police formulées par le chanteur Renaud dans ses textes. Dans les années 60, 70, 80 et 90, le chanteur a en effet pris des positions très radicales sur la police, en mettant en lumière des combats, des victimes, parfois réelles, parfois imaginées à partir du réel. L’objet de ce texte n’est pas d’encenser Renaud comme un idéologue à suivre, mais de démontrer à travers ses chansons jusqu’où la société s’est droitisée au point de ne plus pouvoir affirmer de simples vérités sans susciter des torrents d’insultes, menaces et invectives.

La police tue

En 1988, dans sa chanson Jonathan, en hommage à Johnny Clegg, Renaud formule les paroles suivantes : « Tu m’as raconté Niel Aggett / Et Steve Biko. / Assassinés par les fachos. / Moi, je t’ai parlé d’Éloi Machoro / Des enfoirés qu’ont eu sa peau / Et puis Loïc, et puis nos flics / Jonathan, prête-moi ta guitare que j’t’explique. ». Les paroles font clairement référence à des assassinats policiers. En Afrique du Sud bien sûr, mais aussi en France. À l’heure où la question de l’indépendance de la Kanaky se pose, rappelons ici que la police a effectivement tué sur l’archipel, en 1985. Eloi Machoro, militant indépendantiste et socialiste kanak, avec un autre militant kanak, Marcel Nonnaro, sont abattus par la gendarmerie. La France, via ses gendarmes, a le sang d’habitants souhaitant simplement vivre sans la tutelle coloniale sur les mains.

Dans une autre chanson, Les charognards, datant de 1977, Renaud souhaite dénoncer le racisme de la police mais aussi sa facilité à tuer des petits délinquants, souvent jeunes : « Les zonards qui sont là vont s’faire lyncher sûrement / Si y continuent à dire que les flics assassinent / Qu’on est un être humain même si on est truand / Et que ma mise à mort n’a rien de légitime / « Et s’ils prenaient ta mère comme otage ou ton frère ? » / Dit un père béret basque à un jeune blouson d’cuir ; / « Et si c’était ton fils qu’était couché par terre / Le nez dans sa misère » répond l’jeune pour finir ». La vie d’une personne passe avant des objets ou des biens, avant l’argent ou l’ordre. Ici, il y a une dénonciations de ce qui est, en quelque sorte, une peine de mort sans procès.

Une critique politique de l’institution policière

Nous pourrions citer des dizaines d’exemples de meurtres ou de répression policières. Comme « Loïc », toujours dans la chanson Jonathan, un jeune tué par la police par deux balles dans le dos en 1986 car il avait refusé un contrôle routier. Intéressons-nous toutefois plutôt à la vision de l’institution policière de Renaud. Dans la chanson Willy Brouillard de 1994, relatant la vie routinière d’un policier solitaire, voici ce qu’il en dit : « Quand il était petit y voulait faire / Gardien de square comme son grand-père / Voulait vivre entouré de minots / Protéger les pelouses les moineaux / Ben y vit entouré de béton / Au milieu d’une jungle à la con / Y protège l’État, les patrons / Ceux qui refourguent la came aux nistons ». Nous voyons bien que pour Renaud le problème n’est pas de formuler une critique simpliste du type « tous les policiers sont des pourris », mais au contraire de dénoncer une institution faite pour protéger l’état et les patrons. La police, si elle peut s’autonomiser de plus en plus, n’en reste pas moins le bras armé du pouvoir, cherchant à mater les révoltes, à diviser les populations, avec le lot de crimes qui peuvent aller avec.

Toujours dans le même registre, en 75, la chanson Hexagone ne passe pas par quatre chemins : « La France est un pays de flics / À tous les coins d’rue y’en a 100 / Pour faire règner l’ordre public / Ils assassinent impunément ». Les forces de l’ordre sont en réalité les forces d’un ordre social et leur rôle est de le maintenir. Les violences policières, systémiques, si elles sont en partie le fruit de policiers racistes ou factieux, sont surtout la résultante de la nature même de la police et de son rôle.

La police contre les luttes et les classes populaires

Tous les protagonistes des chansons de Renaud, Eloi Machoro, Steve Biko, le jeune tué de la chanson Les charognards, Loïc, mais on pourrait aussi ajouter les loubards, les jeunes en bande, les blousons noirs, Gérard Lambert et bien d’autres, ont un point commun : ils sont des exploités et des opprimés, les victimes d’une société injuste, ils se révoltent, de manière différentes, parfois politiques, parfois très confuses. À chaque fois, la police apparaît comme un obstacle à leur combat, ou tout simplement à leur survie, surtout lorsque celle-ci se fait à travers des comportements illicites.

La question de la lutte est abordée aussi. Sous couvert d’humour, le premier couplet de la chanson Socialiste mentionne un affrontement avec la police dans une manifestation : « J’l’ai rencontrée dans une manif’ pacifiste / Ça castagnait sérieux avec la police / J’m’étais fait mal en balançant un pavé / J’m’étais foulé la cheville du bras, le poignet ». En 1968, dans une chanson peu connue du nom de Ravachol, Renaud assume un positionnement anarchiste : « Mais un jour il fut trahi par sa meilleure amie, / livré à la police, la prétendue justice. / Au cours de son procès, il déclara notamment / n’avoir tué aucun innocent, / vu qu’il n’avait frappé que la bourgeoisie, / que les flics, les curés, les fonctionnaires pourris. / Mais le juge dit : Ravachol, on a trop discuté, / tu n’as plus la parole, maint’nant on va trancher! ».

On le voit donc, le ministre de l’intérieur, les syndicats policiers, la droite et l’extrême-droite, et même une partie de la « gauche », qui s’indigne des propos de Philippe Poutou, devrait déposer plainte immédiatement contre le chanteur Renaud, et en réalité aussi contre des dizaines de chanteurs/ses ou autres artistes, comme Coluche qui a également dénoncé les crimes policiers. Pour ce qui est de Renaud, aujourd’hui, il faut dire qu’il n’y a plus lieu de porter plainte car il se pose en défenseur de la police. Il a sorti une chanson à la suite des attentats de Charlie Hebdo J’ai embrassé un flic. Une véritable déclaration d’amour… Ce revirement sur la police intervient alors qu’en 2017 il a apporté son soutien à François Fillon, précisant que c’était « un mec bien, honnête » (quel visionnaire sur ce coup-là !). Bref, Renaud a enregistré un changement de profil artistique qui est en cohérence avec sa nouvelle position politique à droite. Triste pour quelqu’un qui, en 94 encore, se demandait : « est-ce qu’on peut mettre de la musique sur la vie d’un flic ? ».

Alexandre Raguet

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