Alors que Macron espérait engranger les gains du déconfinement et lancer sa réforme des retraites, la crainte d’une quatrième vague au variant delta, dès la fin juillet, vient changer la donne. Changement de ton : dans le collimateur du pouvoir, les 1,2 million de soignantEs qui ne seraient pas assez vaccinés !
À l’ordre du jour, un projet de loi d’obligation vaccinale pour fin juillet, et « des conséquences pour les soignants qui refuseraient la vaccination », selon la ministre de la Fonction publique. Un ballon d’essai avant une obligation vaccinale pour toute la population, tant l’obligation vaccinale des soignantEs ne joue qu’à la marge dans l’irruption d’une quatrième vague ?
Les raisons d’un scepticisme
Selon la Fédération hospitalière de France, la vaccination des soignantEs plafonne à 64% à l’hôpital et à 57% dans les Ehpad. Selon Libération, à l’AP-HP, 91% des médecins mais seulement 51% des infirmierEs et aides-soignant.es sont vaccinés. Des chiffres sous-évalués, issus de la médecine du travail, qui ne comptabilisent pas les soignantEs vaccinés en ville ou en vaccinodrome. Mais des chiffres qui montrent clairement la persistance d’une défiance vaccinale. Un scepticisme qui monte d’autant plus qu’on est dominé, nié, opprimé… et femme dans la hiérarchie sociale de l’hôpital dominée par les hommes.
Mais comment le traiter ? Suspension de travail et de salaire comme en Italie, ou bataille de conviction pour celles et ceux qui ont dû affronter la première vague sans masque, qui ont dû transformer des sacs poubelle en blouse, qui n’ont pas vu leurs effectifs augmenter ? Hier directeurs d’hôpitaux et gouvernement obligeaient les soignantEs malades du covid, mais asymptomatiques, à aller au chevet des patientEs, ou limitaient leur vaccination (jusqu’au 6 février) aux plus de 50 ans, et maintenant ils les menacent ! Comme le rappelle la fédération Sud santé, à travers cette obligation, « le gouvernement cherche à se déresponsabiliser de sa politique de santé catastrophique lors de la pandémie ». À faire oublier une vaccination qui a débuté à la vitesse d’un escargot, à faire oublier qu’aujourd’hui seulement 37,15% de la population a reçu les deux doses nécessaires face au variant delta. Sans parler de la Guadeloupe et de la Martinique qui plafonnent à 15%… de vaccinéEs à une dose !
Là où le débat devrait porter d’abord sur l’urgence d’aller vers les oubliéEs, les plus pauvres, les plus éloignés des grands centres de vaccination, les plus éloignéEs d’internet, les précaires, les SDF, les plus fragiles face au covid et les moins vaccinéEs, sur l’urgence de bâtir les gestes barrières avec les populations, sur la levée des brevets contre l’apartheid vaccinal, le débat tourne encore une fois autour des solutions autoritaires d’un gouvernement, qui matraque les Gilets jaunes et menace les aides soignantes. Et ce sont parfois les mêmes.
Convaincre plutôt que contraindre
Alors il s’agit bien de convaincre plutôt que contraindre. Et tous les arguments sont là, avec un recul de 7 mois et de 2,7 milliards de doses injectées. Et l’expérience vaccinale qui montre que les effets secondaires sont soit immédiats, soit au bout de 4-5 mois maximum. Des effets secondaires assez clairement connus, limités par l’interrogatoire et les indications d’âge (pas d’Astra Zeneca avant 55 ans pour réduire les risques de thrombo-phlébites). Et une efficacité remarquable. Le système de santé anglais vient de publier ses chiffres. Être vacciné évite 55 à 70% des contaminations, 90% des hospitalisations, et 98% des décès. Et l’institut Pasteur nous apprend que « le risque de transmission à partir d’un individu non vacciné est 12,1 fois supérieur à celui d’un individu vacciné ». Voilà qui devrait emporter la conviction des personnels, si la parole publique, et même médicale, n’était décrédibilisée par des années de scandales de santé, du Mediator à la Dépakine. Les syndicats, ceux qui ont dénoncé ces scandales, comme Irène Frachon, qui « comprend la confusion et la défiance […] mais après avoir regardé de très près les études de validation » en conclut que « la rigueur, l’analyse démontrent de manière évidente les bénéfices massifs de cette vaccination », doivent prendre la parole, laisser s’exprimer les doutes dans les réunions de service, pour convaincre, tant il est vrai comme l’estime Philippe Martinez, leader de la CGT, premier syndicat de la Fonction publique hospitalière « qu’il vaut mieux convaincre plutôt que contraindre ».
Frank Prouhet