Pour les militantEs anticapitalistes, l’objectif immédiat est très souvent celui-ci : mettre notre classe sociale en mouvement. Cet objectif découle de l’idée que c’est de la mise en mouvement, de l’action des masses, que nait la conscience politique, la conscience d’appartenir à une classe sociale. Enfin, à partir de cette prise de conscience, il est plus aisé de mettre en perspective les idées révolutionnaires, et le projet d’une société écosocialiste.
Programme transitoire et programme révolutionnaire
En cela, nous adoptons deux approches liées mais distinctes.
- une démarche « d’agitation politique », c’est-à-dire la défense de mesures politiques simplement compréhensibles à une échelle de masse. Le rôle d’une mesure d’agitation est d’être défendue bien au-delà de ses propres rangs. L’idée sous-jacente, comme cela est expliqué plus haut, est la mise en mouvement de notre classe autour de revendications « unifiantes », suffisamment radicales toutefois pour qu’elles puissent, une fois le niveau de conscience développé, permettre une critique plus global du capitalisme. Par exemple quand nous disons « interdiction des licenciements », cette proposition est compréhensible pour les ouvriers qui risquent des licenciements. Mais si on va plus loin elle pose la question de la démocratie dans les entreprises, de la prise du pouvoir de la société par celles et ceux d’en bas. Autre exemple dans la situation actuelle, lorsque l’on dit « des masques et du gel gratuit pour toutes et tous ». Cette mesure répond à un impératif sanitaire immédiat. Mais si on va plus loin là encore, cela pose la question de la légitimité d’un pouvoir qui permet que l’on se fasse du fric en vendant des masques en période de crise sanitaire gravissime. Et donc cela pose la question du pouvoir, de qui décide et de quoi ? L’agitation politique est une approche tactique. Elles visent un objectif qui dépasse la proposition elle-même. Mais elle répond néanmoins à un besoin réel. Il ne s’agit pas de se la jouer « manipulateur ». La revendication a un rôle « transitoire » vers la révolution d’abord parce qu’elle est légitime, juste et qu’elle est appropriée par les gens eux et elles-mêmes.
- une démarche de propagande politique. Cela n’a rien à voir avec l’idée de propagande au sens où les nazis, ou les staliniens, l’ont utilisé. Il s’agit plutôt du sens premier, autrement dit « publicité ». Le travail de propagande permet de parler de notre projet de société « rêvée ». L’écosocialisme pour ce qui nous concerne. Pour en faire de la publicité nous écrivons des textes, des journaux, des livres, réalisons des documentaires, etc. Bien entendu il peut y compris y avoir des « processus » d’auto-organisation, dans lesquels des « bribes » de société « rêvée » existent. A Marinaleda en Andalousie ou encore à Porto Allegre au Brésil, il y a ou il y a eu des expériences allant dans ce sens, avec de la démocratie directe. Néanmoins, comme ces exemples furent isolés, la situation des gens ne s’est améliorée que dans certains secteurs mais n’a pas bougé dans d’autres. On ne peut donc pas réellement parler de révolutions.
Pour résumer, la revendication « transitoire » est la porte d’entrée sur le chemin de la révolution, jusqu’à l’avènement de la société écosocialiste. Ce n’est jamais si simplement que les choses se passent, mais l’idée est celle-là.
L’unité d’action et l’unité politique
Les militantEs anticapitalistes que nous sommes ne pensent nullement avoir LA vérité absolue sur tout. Nous avons nos idées, une stratégie, des convictions, et des tripes pour être sur le terrain afin de les défendre (ce qui n’est pas toujours aisé !).
Néanmoins nous sommes persuadés que pour changer ce monde il faudra un renversement révolutionnaire. Nous ne croyons pas à ces institutions républicaines, ni aux élections, du moins nous pensons qu’elles ne permettent pas de changer le monde. Cela n’empêche pas, toutefois, de les utiliser pour faire un travail « d’agitation » et de « propagande ».
C’est pour toutes ces raisons que nous cherchons le plus souvent possible à agir avec d’autres.
Dans les luttes d’abord. Car il n’y a pas que les anticapitalistes qui, par exemple, soutiennent les migrants, luttent contre le réchauffement climatique, les violences masculines faites aux femmes, pour des meilleurs salaires ou contre des fermetures de classes et d’autres services publics. C’est pourquoi l’unité dans les luttes est la base de toutes nos actions : il faut réussir à unifier toutes celles et ceux qui le souhaitent autour d’un programme d’action et de revendications afin de permettre des victoires sociales. En générale la victoire sociale donne des ailes politiques, et ouvre un champ des possibles fermé auparavant. C’est pour cela que les victoires sont précieuses.
Par ailleurs, la diversité des organisations du mouvement ouvrier (syndicats, associations, partis, etc.) représente la diversité de notre classe sociale (même si cela est de moins en moins vrai, ça reste quand même une réalité dans de nombreux secteurs). Et comme il faut unifier notre classe, l’unité de ses organisations dans la lutte est aussi un objectif.
Enfin, de ces luttes unitaires peuvent naitre des perspectives d’unité politique.
Là encore, deux visions peuvent s’opposer.
La première, à laquelle le NPA ne souscrit pas, c’est l’unité par en haut (même déguisée derrière des regroupements citoyens). Souvent lorsque le niveau d’intensité des luttes augmente, les organisations de gauche cherchent à apparaître comme un débouché politique. Face à la division très présente à gauche le débouché ne peut être qu’une unité de ces organisations dans un front, autour d’un programme. Le souci avec cette démarche est qu’elle donne une réponse politique à des gens en lutte, alors même que la lutte et l’organisation des personnes sont le débouché politique.
Pour nous, le rôle politique d’une organisation, en période de lutte, est de pousser à l’auto-organisation et à l’expression de revendications propres au mouvement. Pour faciliter cela, les organisations du mouvement ouvrier doivent s’unir, certes, mais pour défendre le programme issu des luttes, avec celles et ceux qui luttent, pas haut dessus d’eux et elles.
En revanche, dans une situation « à froid », il est intéressant de construire des programmes avec d’autres toujours avec cette idée de pousser des revendications transitoires (nous avions tenté cela à Poitiers pour les municipales en sollicitant Osons 2020 à deux reprises, juste avant que ne surgisse le mouvement de lutte contre la « contre-réforme » des retraites, ce qui changea clairement la donne). Il faut alors que le regroupement apparaisse clairement comme un front et que toutes les organisations y participant soient visibles et puissent exprimer leurs désaccords et leurs particularités. Dans le même temps, la participation à un « front » ne doit pas faire oublier le travail nécessaire de propagande car, malheureusement, trop souvent, le travail « unitaire » se fait au détriment de la construction d’une organisation révolutionnaire. Or, c’est une révolution sociale et politique qui, elle seule, peut renverser le capitalisme. Il faut toujours marcher sur deux jambes : unité, unification ET conscientisation, organisation des plus convaincuEs, formation des militantEs aux idées anticapitalistes.
Pour boucler ce paragraphe je ne pense pas aujourd’hui qu’un débouché politique solide et cohérent viendra de l’unité des organisations de gauche. Je crois au contraire que cette unité-là a fait long feu et qu’elle est un frein à la recherche d’un débouché crédible. Je crois cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que la priorité est double : 1. Reconstruire un paradigme idéologique. La force que fût le communisme, l’idée qu’autre chose est possible, n’existe plus. Il y a urgence à refonder une telle idée, en liant écologique et socialisme, à l’échelle du monde, pas d’une ville ou d’un pays. 2. Le débouché politique ne peut être qu’un débouché « militant » de terrain, des luttes et de l’enracinement social. Or, les « fronts » ou « mouvements » qui ont existé ces dernières années n’avaient ou n’ont pas comme objectif de rassembler des militantEs mais d’être des machines de guerre électorale. Dans cette configuration le « pire » est l’objet du rassemblement, c’est-à-dire les élections et leurs lots de magouilles, de jeux pour des places ou encore de « débats institutionnels » avec des éluEs devenant des professionnelLEs des institutions en oubliant que ces institutions, justement, sont une corruption en elles-mêmes.
Il me semble que l’enjeu aujourd’hui pour nous est de renforcer les pôles de lutte existants dans lesquels nous sommes (pour Poitiers cela est le soutien aux migrants et les luttes antiracistes ; féminisme et lutte contre les violences ; défense des services publics ; syndicalisme) et d’essayer d’en développer d’autres. Mais pour cela il faut être plus nombreuses et nombreux. C’est pourquoi il faut renforcer notre organisation politique car nous aurons besoin dans les mois et années à venir de plus de militantEs anticapitalistes, organiséEs et forméEs politiquement. L’heure n’est plus aux « coups » politiques, avec des « unions » électorales qui capotent dès qu’une autre élection arrive, mais à l’enracinement social de militantEs dans le maximum de sphères de la société, afin d’y construire les luttes et les résistances, mais aussi d’y faire émerger les idées anticapitalistes.
L’utilité d’une organisation anticapitaliste indépendante
Nous l’avons déjà vu mais les objectifs que nous nous fixons montrent leur utilité.
Les militantEs anticapitalistes sont implantéEs dans les luttes et font tout pour organiser au mieux ces luttes, avec d’autres, militantEs d’autres organisations ou d’aucune organisation. Ils et elles sont loyaux et travaillent pour les luttes, pas pour eux ou elles mêmes, pas non plus pour leur organisation politique. Notre parti cherche à se rendre utile aux luttes et pas l’inverse.
Par ailleurs sur Poitiers nous cherchons à renforcer notre implantation. C’est notamment pour cela (mais pas seulement) que nous nous sommes présentés aux municipales (après l’échec de notre volonté de construire un front à la gauche du PS). Nous avons donc organisés des prises de contacts massifs avec des personnes sympathisantes, et cela a permis de grossir le noyau de miliantEs actifs et actives. Ils et elles ne sont pas touTEs au NPA mais nous agissons et décidons de nos actions ensemble.
Avec le confinement que nous connaissons, nous pouvions craindre que l’élan de notre campagne des municipales s’estompe. Mais ce n’est pas le cas et le fait d’avoir une organisation n’y est sans doute pas pour rien, afin de « maintenir » en vie le « groupe ».
Dans ce contexte-là nous pouvons déjà voir les bienfaits de militer avec des nouvelles personnes. Elles nous sortent de notre « entre soi » et permettent de l’audace que nous avions un peu perdu (même s’il fallait un peu d’audace pour partir seuls aux municipales).
C’est ainsi grâce à ces nouvelles personnes que le groupe autour de « Poitiers Anticapitaliste » a tenté l’organisation d’actions de rue le 1er mai à Poitiers. Pas des actions pour faire la part belle au NPA, mais pour « mettre notre classe en mouvement », comme cela est toujours notre objectif, avec d’autres ou seuls. Et nous n’étions pas seuls, pas du tout ! Notre classe ne fût pas en mouvement mais une fraction de celle-ci l’a été. Ce qui n’est pas rien alors même qu’il était interdit de manifester.
Néanmoins cette expérience (une expérience que je relativise, il ne s’agit pas de la révolution mondiale mais c’est un exemple parlant) montre l’utilité des organisations, et la capacité à agir, à prendre des initiatives, à mobiliser… non pas pour elle mais au contraire pour laisser place à l’auto-organisation (en effet, l’appel disait à chacune et chacun de s’organiser dans son quartier). Il ne s’agit pas de dire que « nous sommes plus beaux ou plus forts » que les autres. Ce n’est pas le cas, nous le savons et tout le monde le sait. Mais nous montrons l’utilité d’être organisés et l’utilité d’une organisation anticapitaliste.
Je ne peux dire si cette expérience en appellera d’autres, je l’espère ! Mais ce dont je suis sûr c’est que rien n’aurait été possible sans l’arrivée de nouvelles personnes. C’est pourquoi il me semble impératif, dans les mois à venir, de renforcer le NPA, la construction d’un groupe agissant et défendant la révolution éco-socialiste, sans esprit de secte, avec des militantEs portéEs par l’idée précieuse qu’avec d’autres, nous changerons ce monde.
A.R., Poitiers le 4 mai 2020.