Présidentielle : comprendre la division, préparer la révolution.

L’élection présidentielle aura lieu dans 8 mois. Les candidatures à gauche sont, pour le moment, nombreuses. Au moment où ces lignes sont écrites nous comptons un candidat pour la France Insoumise (Jean-Luc Mélenchon), un candidat pour le PCF (Fabien Roussel), une candidate pour Lutte Ouvrière (Nathalie Arthaud), une candidature écologique (la primaire est en cours) et bien entendu un candidat pour le NPA (Philippe Poutou). D’autres candidatEs sont déclaréEs mais nous nous limiterons à ces candidatures-là représentant la grande majorité de l’électorat ouvrier et militant. L’objet de cet article est de faire un tour d’horizon de ces candidatures pour comprendre les différences, saisir les enjeux idéologiques et permettre des débats politiques. Le ton parfois enflammé utilisé ne vise aucunement les militantEs pour qui j’ai un grand respect. Précisons également que l’auteur de ce texte est lui-même engagé dans la campagne de Philippe Poutou.

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La division à gauche

La gauche part divisée pour la bataille présidentielle de 2022. Est-ce un drame ? Faut-il voir cette information comme le désastre annoncé, la division d’une grande famille qui, unie, réaliserait des merveilles ? Ou au contraire faut-il chercher à comprendre les raisons – multiples – de cette division qui reflète une réalité qu’il faut affirmer : il n’y a pas une mais des gauches.

Première question : la possible candidature d’Anne Hidalgo pour le PS, ou encore celles de Arnaud Montebourg ou de Christiane Taubira, peuvent-elles être rangées à gauche ? Ce trio a largement participé à la gestion hollandiste de 2012 à 2017, avec le désastre que l’on sait. Casse du code du travail, violences extrêmes de l’État face aux manifestantEs (NDDL, Sivens, Loi Travail), augmentation de l’age de départ à la retraite… Clairement, le PS et ses satellites (comme le PRG dont Taubira est proche) ne sont plus à ranger à gauche. Ces gens au pouvoir ont mené une politique de casse des conquis sociaux, de répression des mouvements de lutte et de racisme d’État, avec un Valls à la manœuvre. Sur le plan politique, la gouvernance Hollande a également un bilan qui parle de lui-même : émergence d’un courant ultra-libéral incarné par Macron, montée encore plus forte de l’extrême-droite, écroulement du PS… Bref, le PS a une responsabilité centrale dans la bipolarisation entre droite libérale et extrême-droite que nous vivons aujourd’hui. Ce sont ses trahisons et son incapacité à mettre en place des réformes de gauche, qui ont conduit une large part de son électorat à ne plus faire la différence entre la droite et la gauche, et à chercher d’autres solutions…

Aussi, d’autres gauches émergent. Parfois très semblables, mais avec un verni différent. Parfois très différente, avec des logiciels politiques clairement en rupture. Ces gauches si différentes se retrouvent toutefois sur des causes communes qui font que l’on peut parler de « gauche ». Dans les luttes écologiques, féministes, antiracistes, sociales… Bien entendu, toutes n’y défendent pas la même politique, les mêmes réponses… Mais la fracture qui, aujourd’hui, est déterminante, se situe au niveau du rapport avec le système politico-économique. Le capitalisme n’est pas uniquement un modèle économique. C’est aussi un système politique, avec ses institutions. Si, à gauche, nous pouvons toutes et tous nous retrouver sur une critique abstraite et morale du capitalisme économique et ses excès, nous voyons en revanche des désaccords structurants concernant la capacité ou non de réguler ce système économique. Mais la gauche n’est pas divisée en deux grands blocs, un pensant réformer le capitalisme et l’autre non. Les nuances sont plus floues, les variations stratégique impliquant une fois l’économie, une fois le social, une fois le politique. Aussi, une partie de l’extrême-gauche révolutionnaire peut se sentir plus proche d’une social-démocratie écologique sur la question de la liberté de circulation, quand elle s’opposera vivement aux positions souverainistes des réformistes patriotes. Mais les alliances vont variées lorsqu’il s’agit de s’opposer à l’Union européenne capitaliste. Car l’internationalisme ne peut se faire dans le cadre d’un proto-état capitaliste : même si la solution est bien européenne et mondiale, y compris contre les états-nations, ventres féconds de la bête immonde. Et toujours sur cette question, les alliances évoluent encore lorsque se pose la problématique des peuples opprimés par le colonialisme. La défense de l’auto-détermination des peuples passe par lutter, d’abord, contre son propre impérialisme. Mais cette affirmation va à l’encontre des intérêts de la patrie, intérêts que certains, à gauche, pensent juste de défendre quand d’autres, à gauche, pensent cette politique contradictoire avec l’idée de l’émancipation du genre humain.

« Marcher séparément et frapper ensemble ». Trotsky pensait ainsi sa stratégie unitaire comme une unité d’action. Il avait conscience que la gauche, le mouvement ouvrier, était divisé mais avec des intérêts communs lui permettant de faire l’unité sur des questions précises. Toutefois, nous marchons séparément car nos projets, dans le fond, sont différents. L’unité est un moyen d’action pour faire avancer une lutte, pour se défendre ou même pour empêcher, le cas échéant, que nos pires adversaires à toutes et tous, les fascistes, ne prennent le pouvoir. Mais l’on ne peut parler d’unité que parce qu’il y a des différences. C’est ce que nous allons essayer d’analyser désormais.

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Écologie politique ou la social-démocratie renouvelée

Comme nous l’avons rappelé en préambule, le PS a perdu son leadership sur la gauche. Il s’est d’ailleurs, quelque part, lui-même retiré de la gauche suite à la politique qu’il a mené. Cela n’empêche que, sur les cendres hollandistes, tente de se reformer un groupe de socio-démocrates autour d’Anne Hidalgo avec un discours plus à gauche que lorsqu’ils sont au pouvoir. Mais nous ne sommes plus dupes… tout comme les électrices et électeurs qui ont sanctionné le PS, même si nous devons noter qu’aux élections régionales les sortants PS ont réalisé de bons scores (en cachant bien souvent leur appartenance au PS).

Nationalement, c’est EELV qui représente ce nouvel espace politique. Même si, sur le fond, il n’y a pas beaucoup de changement (respect des institutions capitalistes, acceptation de l’économie libérale, professionnalisation de la politique…), un certain nombre de ruptures sont à noter. D’abord que la question écologique est centrale (ce qui n’est pas le cas pour le PS productiviste). Nous reviendrons plus tard sur cette écologie, différente de celle de la gauche radicale, mais nous devons toutefois noter ce marqueur. Autre marqueur, c’est l’émergence d’une nouvelle génération politique, avec des trentenaires, quarantenaires et cinquantenaires. Ces nouvelles figures comme Piolle, Moncond’huy, Rousseau, apporte une réelle féminisation et des pratiques nouvelles de type « démocratie participative ». Nous sommes loin de la démocratie directe et de l’autogestion, mais nous sommes tout de même en rupture avec les pratiques, parfois mafieuses, du PS ou du PCF dans certaines villes. Peut-être que cela ne durera pas très longtemps, puisque EELV n’engage pas de rupture avec les institutions et devrait aller vers une bureaucratisation galopante, mais à l’heure d’aujourd’hui, cela est déterminant dans le fait qu’une partie de la jeunesse se tourne vers eux.

Une fois dit cela, il est néanmoins important de rappeler que EELV a participé au gouvernement Hollande. Certes en y étant minoritaire, mais cela est révélateur de la stratégie de ce parti. Pour EELV, la solution passe par une participation dans les institutions. Dans les assemblées locales (régions, départements, villes) EELV est très souvent alliée au PS et au PCF. Très clairement ce parti se retrouve complètement dans la gestion du capitalisme dans le cadre de la gauche plurielle. Aussi, il n’y a rien à attendre d’elleux du point de vue d’un changement radical (même si c’est possible avec certainEs militantEs). Pourtant, une véritable politique écologiste nécessite une expropriation des grands groupes capitalistes, une planification démocratique de l’économie, la sortie rapide du nucléaire et des énergies fossiles… bref, pour sauver notre écosystème, il faut mettre hors d’état de nuire les capitalistes et, pour ce faire, il faut que la majorité de la population prenne le pouvoir. Cela ne peut se faire dans le cadre républicain bourgeois taillé, de A à Z, pour les capitalistes. Enfin, pour conclure, la mise en place d’une primaire (avec 5 candidatEs) amplifie le phénomène de présidentialisation, et donc de personnalisation, qui est un des plus grands problèmes de la gauche pour qui la solution doit être collective et non derrière un ou une bonNE présidentE. À ce titre, dans une logique de « présidentiabilité », la présence de Yannick Jadot, l’un des favoris de la primaire, à la manifestation appelée par les syndicats policiers d’extrême-droite représente une faute politique qui créé, de fait, un cordon sanitaire avec celles et ceux qui subissent et/ou qui luttent contre les violences policières et l’immunité dont bénéficient les policiers violents.

Zoom sur Yannick Jadot candidat EELV à la primaire

En plus de sa participation à la manifestation de policiers d’extrême-droite, Yannick Jadot est également un partisan du capitalisme vert. Le patronat lui-même, par l’intermédiaire du MEDEF, le reconnaît en trouvant le prétendant écologiste « nuancé », ni décroissant, ni anticapitaliste. Yannick Jadot représente, pour les capitalistes, une réelle alternance possible dans le cas où Macron ou la droite ne seraient pas en mesure de gagner la présidentielle. Dans cette prise de parole du 27 août 2020, Jadot le dit clairement, même s’il combat les excès du capitalisme, il est pour « le capitalisme européen et le modèle social européen, qui ne sont pas les modèles chinois ou américain ».

Quelques éléments marquants une différence ou une ressemblance avec le NPA :

  • EELV défend l’Union européenne pourtant complètement liée au capitalisme. Nous sommes nous pour une Europe des peuples, écosocialistes, ce qui passe par une rupture avec les traités européens et une reconstruction totale d’un cadre politique européen vers les Etats-Unis écosocialistes d’Europe.
  • EELV est pour le maintien de l’économie libérale et ne remet pas en cause le capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée des moyens de production et donc l’exploitation de la grande majorité de la population. Les écologistes pensent pouvoir réformer ce système, nous pensons qu’il n’est pas réformable.
  • EELV ne remet pas en cause les institutions de la République : de notre côté, nous pensons que ces institutions ne sont pas faites pour un exercice réellement démocratique, où la population décide elle-même des choix de la société. Nous sommes pour la disparition de l’état capitaliste afin d’en reconstruire un nouveau, démocratique, dans le cadre d’une assemblée constituante à la base.
  • EELV et NPA se retrouve dans les luttes contre le racisme et l’homophobie, contre le sexisme, même si nous pouvons diverger sur certaines réponses. Dans les grandes lignes, nous sommes d’accords et nous retrouvons souvent dans les mêmes luttes.

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Entre continuité opportuniste et réflexes orthodoxes

Le Parti communiste français a décidé de présenter un candidat à la présidentielle en la personne de Fabien Roussel, député du Nord. Ce choix est surprenant mais s’explique par la crise politique et idéologique qui traverse ce parti. En 2012 et en 2017, les communistes avaient soutenu Jean-Luc Mélenchon, deux campagnes réussies mais dans lesquelles les relations avec le Parti de Gauche puis la France Insoumise furent tendues et très difficiles. Cela a créé, dans le PCF, une volonté de s’affranchir de Mélenchon. Même si une autre partie reste pro-Mélenchon et ne fera pas la campagne Roussel.

Car pour comprendre les divisions internes, il faut se rappeler du long déclin électoral du PCF. En 2007, Marie-George Buffet ne recueillait que 1,93 %. Une véritable claque pour ce parti qui, depuis l’après-guerre, avait connu les sommets électoraux avec des scores à deux chiffres. Bien entendu, cette crise n’est pas apparu en 2007. Sous la houlette de Robert Hue (aujourd’hui macroniste) déjà, le PCF rencontrait les défaites électorales. En fait, le PCF a été confronté à une double crise : d’un côté la chute du stalinisme à travers l’effondrement de l’URSS en 1991, de l’autre la perte du leadership à gauche à la suite de ses alliances répétées avec le PS qui l’a complètement avalé. Entre trahisons et profil autoritaire, l’histoire récente du PCF ne lui a pas permis d’exister à une échelle de masse en dehors d’alliances opportunistes.

Or, pour une partie significative du PCF, qui reste une force militante malgré sa crise structurelle, le discours de Roussel mêlant retour à l’identité orthodoxe et continuité opportuniste avec des alliances avec le PS aux régionales et des discussions pour les législatives avec le même PS, a séduit. Par anti-Mélenchonisme, une majorité s’est dessinée (liant droite et gauche du parti) pour la candidature de Roussel qui, disons-le, est difficilement compréhensible politiquement. En effet, mise à part pour exister dans la sphère médiatique afin de mieux négocier par le suite des places, en n’hésitant pas à sortir des discours anti-migrants, pro-nucléaire, nationaliste (le grand retour du « produisons français »), en ayant, aussi, participé à la manifestation à l’appel des syndicats policiers d’extrême-droite, à quoi sert-il de voter PCF ? Le candidat Roussel dit défendre une candidature communiste mais, en réalité, il n’y a pas grand-chose de communiste dans sa campagne : rien sur l’internationalisme prolétarien et, au contraire, Roussel fait l’éloge des frontières et du protectionnisme ; rien sur l’expropriation des grands groupes mais simplement la nationalisation de l’énergie ; rien sur l’auto-organisation des travailleuses et travailleurs ; rien de concret sur la société sans classe à construire, mais seulement la mise en avant de mesures sociales déconnectées d’un projet révolutionnaire. Autrement dit, en plus de ne pas apporter un discours internationaliste et socialiste clair, le PCF n’est pas en rupture avec la gauche réformiste. En réalité, il est même une composante essentielle pour la gauche social-démocrate aujourd’hui (malgré son histoire) car il ne se positionne pas pour la grève générale, la lutte révolutionnaire, mais pour une victoire électorale dans un strict respect des institutions. Tout en sachant qu’il n’a aucune chance de gagner, voter Roussel ne sert qu’à renforcer le PCF dans l’optique d’une meilleure négociation de postes avec le PS aux législatives et à renforcer ce parti sur une ligne qui n’a pas rompu avec le réformisme. Bref, cette candidature n’est pas vraiment en adéquation avec la politique menée par le PCF au quotidien et ses alliances avec EELV et le PS, elle apparaît alors en décalage pour celles et ceux qui suivent un peu la politique…

Zoom sur la question sécuritaire de Fabien Roussel

Nous prenons quelques lignes supplémentaires pour faire un zoom sur une problématique très gênante dans la campagne de Roussel. Comme nous l’avons déjà signifié plus haut, Roussel n’a pas hésité à tenir des propos anti-migrants. Cette position est grave puisqu’elle rompt clairement avec l’idée communiste que la Terre appartient aux hommes et aux femmes, qu’ils et elles ont le droit de se déplacer comme bon leur semble, de s’installer où ils et elles veulent. En voulant réaffirmer un discours « patriote », Roussel renoue avec les positions de Georges Marchais qui posait le « problème de l’immigration massive » en 1981. Pourtant, des militantEs communistes sont de tous les combats pour la régularisation de tous les sans-papiers. C’est pourquoi, ce tournant qui semble très largement être une attitude opportuniste pour flatter un électorat populaire parfois attiré par l’extrême-droite, est une véritable capitulation qu’il faut dénoncer. Espérons que les militantEs du PCF sauront imposer une meilleure ligne sur cette question.

Idem sur la police et la question sécuritaire. Alors que nous vivons un sursaut populaire contre les violences policières, que celles-ci soient racistes et/ou sociales, la présence de Roussel (et de Jadot et Faure) à la manifestation appelée par des syndicats policiers d’extrême-droite est une faute politique. Là encore, nous pouvons déceler une tactique opportuniste. Tactique que le PS a déjà largement mis en œuvre pour en arriver à défendre et appliquer lui-même des politiques sécuritaires. D’ailleurs, Roussel théorise sa position en réclamant l’embauche de 30.000 policiers supplémentaires ! L’ajout des termes « de proximité » à côté de « policier » ne peut que nous inquiéter encore plus : ils seront là, partout, à nous fliquer ! Nous voyons bien là une contradiction avec la possibilité d’une révolution : qui donc penserait à renforcer l’appareil répressif de l’état alors même que son projet est de renverser l’état ? Notons aussi que Jean-Luc Mélenchon réclame l’embauche de 10.000 agentEs. Face aux manques d’enseignantEs, de soignantEs, d’éducateurs et éducatrices… ces propositions vont dans le mauvais sens. À rebrousse-poil, nous nous positionnons pour notre part pour la suppression de la BAC et des polices municipales, de façon à ce que ces emplois soient réaffectés sur des problématiques sociales. Nous nous positionnons également pour le désarmement de la police au contact de la population. Une position « pas si saugrenue », comme le rappelle Libération.

Quelques éléments marquants une différence ou une ressemblance avec le NPA :

  • Le PCF ne se positionne pas pour la liberté de circulation et d’installation contrairement au NPA.
  • Le PCF défend le nucléaire, alors que nous pensons qu’il s’agit d’une énergie dangereuse dont il faut sortir au plus vite. Vous pouvez pour comprendre ce débat regarder cette vidéo.
  • Le PCF remet en cause le capitalisme dans son discours mais ne propose pas son renversement mais son aménagement. Les mesures proposées sont des réformes (proches de la FI) comme un pôle public bancaire, des nationalisations mais sous la coupelle de l’état pas des salariéEs et de la population. Elles ne remettent nullement en cause l’économie libérale. Nous pensons pour notre part qu’une révolution passe par un changement de nature du pouvoir et donc la destruction de l’état bourgeois. Le pouvoir doit revenir aux travailleuses et travailleurs, à la population dans les quartiers, les villages, sur les lieux d’études… Nous voyons bien que la période ne permet pas à ce discours des percées électorales… C’est pourquoi les élections sont une tribune, pas un moyen de prendre le pouvoir. Mais avec un discours radical, nous pouvons gagner une audience, nous renforcer, faire vivre une alternative de société.
  • Avec le PCF, nous nous retrouvons dans de nombreuses mobilisations pour la défense des services publics (même si nous n’avons pas le même projet), sur certaines questions internationales comme le soutien au peuple palestinien (nous divergeons largement sur d’autres, où le PC a une position campiste, par exemple sur la révolution syrienne). Nous nous aussi retrouvons pour nous opposer aux politiques d’austérité ou encore pour lutter contre les dérives autoritaires du pouvoir. Soulignons enfin qu’avec de très nombreuses et nombreux militantEs communistes, nous militons syndicalement dans la CGT ou la FSU.

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Un populisme de gauche en rupture avec la lutte des classes ?

La candidature de Jean-Luc Mélenchon est annoncée et lancée. Pour la troisième fois, l’ancien sénateur socialiste se présente à la présidentielle. Alors qu’en 2012 et en 2017, il avait le soutien du PCF, cette fois-ci Mélenchon doit faire différemment. C’est pourquoi « L’union populaire » a été initiée. Son objectif, dans la lignée du populisme de gauche, est de construire une force électorale avec une partie du « peuple ». En 2017, avec plus de 19 % des voix, Jean-Luc Mélenchon est passé assez près d’une qualification pour le deuxième tour. Mais pour 2022, la situation semble largement dissemblable. D’abord des candidatures concurrentes se profilent. Alors qu’il y a 5 ans des écolos, des communistes, des anticapitalistes, des socialistes, ont voté pour lui, soit parce qu’ielles n’avaient pas de candidatE, soit par « vote utile », cette fois-ci les communistes ont leur candidat, les socialistes bientôt la leur et les écologistes aussi. Du côté de l’extrême-gauche, deux candidatures minimum existent (NPA et LO) et l’on sait qu’un certain nombre de sorties de Mélenchon dans les dernières années n’ont pas aidé à réchauffer les liens avec tout ce monde-là. Enfin, même si ce ne sont que des sondages, ceux-ci semblent démontrer qu’aucune candidature de gauche n’est en mesure d’atteindre le second tour dans ce scenario-là.

Mais revenons-en aux propositions de « L’union populaire ». En fait, celles-ci ne divergent pas beaucoup de 2017 et du programme L’avenir en commun, c’est d’ailleurs toujours ce programme qui est défendu avec quelques ajustements. J’avais déjà participé à une critique de ce programme que vous pouvez retrouver ici. Ces divergences sur le programme n’empêchent pas de faire l’unité en tout temps entre militantEs anticapitalistes et insoumis. Aux régionales par exemple, nous avions su trouver un terrain d’entente pour une campagne des luttes, pour faire entendre la colère sociale tout en mettant en avant des mesures d’urgence sociale et écologique. Toutefois, dans le cadre d’une présidentielle, les questions internationales et la problématique du choix de société à construire prennent un autre degrés d’importance. Aussi, ces sujets ne permettent pas de construire une candidature commune même si nous ne faisons pas de Mélenchon et des insoumis des adversaires politiques mais des concurrents avec qui nous avons des points d’accords et de désaccords.

Mais pour mieux comprendre la division stratégique qui existe entre anticapitalistes et populistes, il est utile de discuter au-delà de la question du programme. En septembre 2017, j’écrivais un texte pour discuter de ces questions et je posais la problématique en ces termes : « Les forces politiques convoquées par le populisme sont « le peuple » et « l’oligarchie » voire « la caste ». Il ne s’agit pas d’une sémantique nouvelle pour parler de la classe ouvrière et de la bourgeoisie. Derrière ces termes, il y a une identité politique qui vise à dépasser les antagonismes de classes. Il ne s’agit alors plus de réaliser le pouvoir des soviets, c’est-à-dire le pouvoir des comités de base, celui de celles et ceux d’en bas. Il s’agit plutôt de fédérer le peuple, un peuple « inter-classiste » qui aurait des intérêts communs contre « la finance », « les politiciens », « les institutions européennes », « l’OTAN », etc. Le populisme dit de gauche se place lui aussi dans cette logique politique bien qu’il reconnaisse les inégalités sociales et lutte contre. Seulement, c’est bien à un compromis de classe qu’appellent les populistes, le pouvoir d’État se trouvant alors être le lieu de contraction démocratique entre les classes qui se fédèrent en un seul peuple. Pour faire vivre une telle idéologie et une telle pratique politique, et ce même avec un discours de « gauche », il est nécessaire d’adopter trois axes contradictoires avec une logique révolutionnaire : 1. avoir un discours patriotique, puisque le peuple existe d’abord à travers une histoire politique, géographique, linguistique, culturelle commune. 2. avoir un chef qui fédère le peuple puisque le débat politique et la démocratie ne sont pas compatibles avec un mouvement populiste – pas de votes, interdiction de s’organiser en interne, interdiction des expérimentations/alliances locales – la question du leader est centrale. C’est le chef, ou le leader, qui dicte une ligne et a pour but d’incarner le changement, via l’ère du peuple. 3. se placer dans une perspective légale car les courants populistes – qui viennent bien souvent du socialisme et communisme, ou du moins de l’eurocommunisme – ont rompu avec l’idée d’une rupture révolutionnaire. En gros, le populisme est un réformisme qui remet en cause les excès du capitalisme et pas le capitalisme lui-même. ». Pour faire court, et même si la FI populiste est traversée elle-même par des débats et des contradictions, faisant qu’un certain nombre de militantEs peuvent se retrouver dans une logique révolutionnaire, nous pouvons reprendre cette analyse. Le populisme est une stratégie de prise du pouvoir plus qu’un projet politique nouveau. En soi, le programme L’avenir en commun vise à réformer le système et la stratégie populiste à emmener Mélenchon au pouvoir.

Zoom sur la question internationale

Un des plus grands désaccords avec la France Insoumise est le rapport aux colonies et, plus globalement, le rôle de la France à l’international. Un des chapitres du cahier de « l’Avenir en commun » Pour une France Indépendant (dont la couverture est en Bleu-Blanc-Rouge, excusez du peu…) s’intitule « La France présente partout dans le monde ». Ce titre fait référence à l’empire colonial français, aux « outre-mer », qui font que la France est, effectivement, présente sur l’ensemble des continents du monde et possède une façade maritime importante (la deuxième plus grande du monde). Cette partie pose des problèmes à différents niveaux. D’abord, la question sociale n’est jamais posée. Pourtant l’on sait que les habitantEs de la Réunion, par exemple, ont des conditions de vie difficiles, avec des produits de première nécessité très chers et un taux de chômage très élevé. Cette situation ne tombe pas du ciel, elle est le fruit justement du colonialisme qui créé la dépendance des colonies vivants de l’importation de la métropole. C’est pourquoi, en plus de la question sociale, doit se poser aussi la question de l’autodétermination des peuples et de leur indépendance. À aucun moment le programme « L’avenir en commun » ne se positionne là-dessus, si ce n’est sur la question énergétique. Sinon, les colonies sont uniquement vues comme des possibilités de renforcer la France en tirant le meilleur de ces territoires (ce qui ne rompt nullement avec le colonialisme). Pourtant, en 2021, la Kanaky va connaître une événement d’importance avec un référendum pour l’indépendance. Quelle est la position de Mélenchon là-dessus ? Nous n’en trouvons pas puisqu’il refuse de se positionner clairement. En revanche, dans un entretien, il glisse « si je faisais parler mon coeur, je dirais, restons ensemble ». Rappelons que Mélenchon est un admirateur de Mitterrand. Ce dernier fût l’un des pires défenseurs du colonialisme français, ayant même été ministre de l’intérieur au moment de la guerre d’Algérie, il a joué un rôle majeur dans l’instauration de la répression massive contre les algériens. Pour Mitterrand, l’Algérie, c’était la France…

Autre point du même cahier tricolore qui fait largement débat et qui, en 2017, était déjà un sujet de discorde, c’est le paragraphe sur les migrations avec un titre extrêmement maladroit : « Lutter contre les causes des migrations forcées ». Notons l’ajout du mot « forcées » qui, quelque part, montre une évolution positive. Toutefois, dans le fond, la manière questionner la migration est très gênante : pourquoi en parler comme d’une douleur quand, de notre point de vue, la question posée est celle de l’accueil ? Mais surtout, à la lecture des propositions, nous ne sommes pas rassurés car il n’y a rien de très clair. Mise à part une phrase générale disant « Assumer notre devoir d’humanité envers les réfugiés », nous n’avons rien sur la régularisation des sans-papiers, la liberté de circulation et d’installation… Nous pouvons aussi nous interroger sur l’usage du terme « réfugiés ». S’agit-il d’un nom général pour parler de tous les migrants ou bien uniquement des personnes fuyants pour des raisons qu’ils devront prouver, et si oui, lesquelles ? Ou alors, tout est dans le « forcées » du titre et Mélenchon est pour l’accueil inconditionnel ? Il y a un besoin de précisions, à minima. Notons toutefois une revendication présente dans le chapitre sur les colonies où il est précisé que les sans-papiers seront régularisés.

Quelques éléments marquants une différence ou une ressemblance avec le NPA :

  • LFI comme le PCF ne se positionne pas pour la liberté de circulation et d’installation qui est une position centrale pour le NPA
  • LFI croit à un changement par la voie légale et électorale alors que nous pensons que cette voie n’est pas compatible avec un changement anticapitaliste
  • LFI adopte une position campiste au niveau international et pense que ce sont les intérêts de la France qui doivent déterminer les choix stratégico-politiques. Pour notre part, notre boussole est la révolution permanente internationale. Nous ne défendons pas le socialisme dans un seul pays mais voulons le développement de la révolution à l’échelle internationale. Si nous réalisions la révolution en France, nous serions disponibles et nous rendrions utiles pour aider les militantEs révolutionnaires à travers le monde.
  • NPA et LFI se retrouvent sur de nombreuses luttes écologiques : contre les Bassines, contre l’agriculture productiviste et les pesticides, pour la gratuité des transports en commun. Sur la question du nucléaire, nous nous retrouvons pour la sortie du civil mais pas sur la question du nucléaire militaire où la position de LFI ne va pas jusqu’à demander clairement l’interdiction et la sortie.

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L’unité des révolutionnaires ?

J’ai volontairement choisi l’ordre des candidatures, en partant de celle qui semble la plus social-démocrate jusqu’à celle de Lutte Ouvrière, se plaçant sur le terrain de la révolution communiste. Je n’ai nullement l’intention de faire un jugement de valeur, ni même de dire qu’il y a un trait d’égalité entre toutes les candidatures dîtes réformistes : simplement, il y a bien une différence de nature qui n’existe pas avec les candidatures écologistes, communistes ou insoumises, c’est l’affirmation que le changement de société ne peut être que l’œuvre de l’intervention direct du monde du travail, de la population, vers un changement révolutionnaire de la société.

Une fois ce décor placé, nous pouvons poser deux interrogations. Pourquoi donc la gauche réformiste n’est-elle pas alliée ? Électoralement, cela donnerait une chance d’éviter le duel Macron-Le Pen ou Bertrand-Le Pen. Mais aussi, pourquoi les anticapitalistes et les révolutionnaires ne sont-ils pas alliés ? Ensemble, nous pourrions sans doute peser plus sur la situation politique et faire entendre avec plus de forces nos idées.

Lors de l’université du NPA, fin août 2021, un débat sur la présidentielle a été organisé entre le NPA et LO sur la campagne à mener. Nous avons pu constater très rapidement les raisons qui empêchent ce rassemblement. Pour Lutte Ouvrière, le temps de la campagne doit être consacré, quasi uniquement, à l’idée qu’il n’y a pas de changement possible sans révolution communiste. Pour elleux, la campagne du NPA qui met en avant un programme d’urgence directement lié aux luttes auxquelles nous participons (écologie, féminisme, égalité des droits, antiracisme, social, démocratie) va édulcorer notre discours et lui enlever son caractère révolutionnaire. Nous sommes en opposition avec cette façon de voir. Nous pensons qu’une campagne électorale, une campagne politique, doit être l’occasion de lier à la fois une analyse de la situation, la défense d’une série de revendications d’urgence liées aux luttes et enfin la perspective d’une autre société, anticapitaliste, écosocialiste. Une telle campagne est l’occasion justement de faire entrer, dans la séquence électorale, les luttes dans lesquelles nous militons.

Prenons un exemple qui est celui du racisme. Dans la période que nous vivons, il est clair que le racisme a une place nauséabonde bien trop importante. Avec Philippe Poutou, nous voulons faire entendre un certain nombre mesures comme l’ouverture des frontières et la liberté de circulation et d’installation, la régularisation de tous les sans-papiers. Mais nous voulons aussi mener la bataille contre le racisme d’état, et particulièrement contre l’islamophobie qui est au coeur du racisme en France. Dans le même temps nous voulons mener de front la bataille contre tous les racismes, la rromophobie, la négrophobie, l’antisémitisme, le racisme anti-asiatique… car la société écosocialiste que nous voulons doit être internationaliste et émancipatrice. Ce n’est pas un détail à côté du sujet principal que serait la question économique et celle de la prise du pouvoir. C’est un élément central de notre projet politique. Cette différence d’approche ne montre pas une différence irréconciliable avec LO mais une approche tactique qui nous empêche de faire une campagne commune.

Par ailleurs, nous ne voulons pas d’une campagne abstraite sur le communisme mais d’une campagne enracinée dans la vie réelle. C’est pourquoi nous défendrons des mesures qui, prises individuellement, peuvent apparaître comme réformistes mais qui sont une façon de répondre aux besoins des gens tout de suite et maintenant. L’interdiction des licenciements, la répartition du temps de travail, le développement des gratuités, l’annulation de la dette, la mise en place de monopôles publics bancaire et de l’énergie, l’augmentation des salaires et de tous les revenus des classes populaires… autant de mesures qui peuvent trouver un écho dans la population et faire le lien avec le reste de notre classe sociale. Car nous savons bien que nombre de ces mesures peuvent être reprises par des réformistes. C’est donc l’occasion de campagnes communes pour mettre en mouvement notre camp qui n’est pas révolutionnaire par nature. Nous sommes anticapitalistes, nous voulons un changement révolutionnaire de la société, mais nous ne pensons pas que la solution est de se couper du reste de la gauche mais, au contraire, de chercher à l’unifier dans l’action autour d’un programme de revendications. C’est là encore une différence avec LO qui cherche à s’adresser uniquement aux travailleurs mais pas aux organisations du mouvement social et politique constituant ce que l’on nomme dans notre jargon le « mouvement ouvrier ». Nous pensons, nous, qu’il faut faire les deux : construire à la fois des fronts larges et une organisation indépendante défendant l’écosocialisme à travers une rupture révolutionnaire.

Quelques éléments marquants une différence ou une ressemblance avec le NPA :

  • LO veut mener une campagne pour faire entendre le camp des travailleurs quand le NPA veut, en plus de faire entendre la colère sociale et les luttes, proposer un programme répondant à moult problématiques écologiques, sociales, féministes, antiracistes, etc.
  • le NPA veut, durant cette campagne, faire des propositions unitaires pour l’action avec le mot d’ordre « marcher séparément, frapper ensemble ».

***

En conclusion nous pouvons affirmer que la division, si elle n’est pas une bonne nouvelle, a des explications. Certaines s’expriment par le programme, d’autres par le profil, d’autres par la nature même du projet politique et les moyens d’appréhender le pouvoir. Réforme ou révolution ? Les fractures peuvent en partie se situer sur cette idée. Mais elle n’est pas suffisante pour comprendre les différentes problématiques. Quelque part, un véritable réformisme est révolutionnaire. En effet, le néo-libéralisme à l’oeuvre ne tolère aucune réforme, aucune proposition qui va dans le sens du mieux-vivre. C’est pourquoi, n’importe quelle gauche qui remporterait les élections et qui voudrait mettre en place un programme, même keynesien, serait confronté à une bourgeoisie nationale et européenne revancharde. Un tel pouvoir serait alors confronté à deux possibilités : ou renoncer, à l’image de Tsipras en Grèce, et se soumettre aux diktats austéritaires, ou aller jusqu’au bout, en s’appuyant sur le peuple en lutte pour imposer son programme en sortant, de fait, du cadre légal. Nous pensons que la seconde option ne peut fonctionner que si elle est d’ores et déjà comprise et intégrée dans le logiciel stratégique. C’est en ce sens que la campagne Poutou refusera les deux pièges tendus : ni sectarisme, ni opportunisme. Pour un programme d’urgence et pour commencer à préparer, toutes et tous ensemble, une société émancipée dans tous les sens du terme. L’ensemble de nos propositions est à consulter ici.

3 commentaires sur “Présidentielle : comprendre la division, préparer la révolution.

  1. Article trés pédagogique que j’ai pris le temps de lire jusqu’au bout. Combien serons-nous à le faire ( tp long pour bp.)?
    Personnellement, une fois planté le décors  » à gauche  » fin septembre, je provoquerai avec d’autres le débat ds le sud vienne en indiquant mes choix.
    Dommage rien sur des initiatives unitaires en 2020/21 ( big-bang, pour une candidature commune en 2022, etc…).

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