Il est acquis que la période politique que nous vivons est celle d’une crise politique. Un pouvoir divisé, des mouvements de lutte, une augmentation de la pauvreté et donc de la colère, une mise en mouvement d’une partie de la petite-bourgeoisie. Néanmoins, peut-on caractériser la période comme « révolutionnaire », alors même que le climat de la société est très à droite, et que nous sommes orphelins d’un regroupement politique anticapitaliste, de masse, pluraliste et unitaire ?
Pour Lénine, il y a plusieurs indices qui permettent de deviner une crise révolutionnaire (lire à ce sujet Daniel Bensaïd). D’abord, « l’impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du sommet, crise de la politique de la classe dominante ; […] que la base ne veuille plus vivre comme auparavant et que le sommet ne le puisse plus. ». Ensuite «l’aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées. ». Enfin, « l’accentuation de l’activité des masses. ».
Néanmoins, un autre facteur, et pas des moindres, manque pour passer de la « crise politique » à la « crise révolutionnaire », c’est l’existence d’une force révolutionnaire, capable d’entraîner les masses en mouvement vers un idéal politique nouveau. Je n’entends pas ici, par force révolutionnaire, « l’organisation politique », mais « l’objectif politique » d’une révolution. Aussi, si la revendication « Macron démission ! » a un caractère politique majeur, potentiellement révolutionnaire, elle n’est pas par nature d’ordre à remettre en cause la société toute entière.
Discussion sur la violence
Le pouvoir actuel vit une crise liée à plusieurs facteurs. Bien entendu la crise économique résultant de la crise sanitaire a déjà des conséquences sociales. L’explosion de la pauvreté en est une expression. A cela s’ajoute des attaques importantes sur les libertés démocratiques.
Ce qui est significatif, c’est que les deux dernières grandes montées de lutte sont venues en réaction à la répression policière et aux politiques racistes. La première fois suite à la mort de Georges Floyd, au printemps. La deuxième fois suite à « l’article 24 » de la loi « sécurité globale », puis la violence à l’encontre de migrants à Paris, et enfin (toujours dans la même séquence) la violence exercée contre Michel Zecler, un homme noir, par plusieurs policiers racistes. Néanmoins, ce qui ressort des manifestations, c’est une condamnation « globale » du pouvoir politique, pas uniquement de ses attaques liberticides.
Les violences policières sont à analyser sur deux plans. D’abord il y a un pouvoir politique qui se repose beaucoup là-dessus. Depuis la loi travail en 2016, il est quasi impossible qu’une manifestation se déroule sans heurts à Paris et dans de nombreuses grandes villes (notamment à Nantes). La responsabilité est à trouver du côté de la préfecture qui ne laisse plus aucune place à l’auto-organisation des manifestations, avec une présence policière disproportionnée tout le long des parcours. Il y a surtout une volonté affirmée de « réprimer » le mouvement social et militant. Mais ces violences résultent aussi d’une forme « d’autonomisation » de la police. Et il y a clairement un risque fasciste de ce côté-là. Les enquêtes de StreetPress et d’Arte avaient d’ailleurs révélé ce qu’il se passe dans la police, et il ne s’agit pas de « cas isolés ». La présence d’éléments néo-nazis ne fait aucun doute, et un climat raciste et sexiste y règne de façon permanente. Il n’est pas impossible que la police, ou du moins des groupes isolés de policiers, sur lesquels se repose le pouvoir en ce moment, passent à l’acte, au point de commettre des actes « fascistes » indépendamment des consignes qu’ils reçoivent (c’est d’ailleurs ce qu’il se passe déjà parfois, mais cela peut se généraliser). Il y a, de plus, une colère policière contre le pouvoir qui pourrait se caractériser via des tentatives politiques de le renverser. L’émergence, par exemple, d’une candidature à l’extrême-droite portée par le Général De Villiers (qui pointe le bout de son nez) a de quoi inquiéter, dans l’optique d’une alliance « armée/police », anti-libertés, anti-migrants, anti-gauchistes, et nationaliste. En cela, les revendications de dissolution de la BAC et des polices municipales, ainsi que le désarmement de la police au contact de la population, sont des mesures d’urgence démocratique.
Ces violences-là, de l’Etat, ou d’un possible fascisme, ne sont nullement comparables aux « violences » des manifestants, y compris « autonomes ». Je ne crois absolument pas que nous pourrons faire avancer nos luttes, ni même la révolution, avec des violences contre du mobilier urbain ou via des affrontements minoritaires avec les policiers, mais je ne les condamne pas pour autant. Je ne vois pas d’intérêt à ces actes, mais j’en vois encore moins dans leur condamnation. Les expériences de lutte des uns et des autres doivent être respectées, c’est comme cela que l’on avance et que l’on se construit une conscience politique. Par ailleurs, parfois, des affrontements minoritaires permettent quand même d’augmenter un niveau de conscience, et de pointer le rôle de la police dans la défense de l’Etat bourgeois. Enfin, il s’agit aussi de l’expression d’une colère tout à fait légitime contre un ordre social injuste.
Ce qui paraît donc le plus important, c’est de pointer les vraies violences, et de discuter tactiquement de la violence politique comme « arme émancipatrice ». En 2016, j’écrivais ceci, et je le pense toujours : « Pour les militant.e.s révolutionnaires et anticapitalistes conséquents, la violence en soi ne pose pas de problème. Dans une révolution, des actes de violence seront très certainement à l’œuvre. Mais la violence n’est pas une pratique ordinaire. Elle exclut, elle peut marginaliser, elle est l’arme et l’idéologie de nos adversaires… ». C’est pourquoi il me semble que l’arme prioritaire doit être de massifier les mobilisations, car la masse a un rôle politique qui permet d’éviter la violence (du moins temporairement, et la violence n’est alors pas une arme permanente), et qui donne à la lutte une légitimité plus forte. Reste, néanmoins, à discuter de l’alternative politique, du débouchée politique des luttes, sans quoi toute crise politique ne peut pas se terminer par une sortie révolutionnaire.
Pour une alternative politique
La perspective politique comme je l’ai évoqué précédemment, dépasse la question des organisations politiques. Quelle est la référence idéologique des militants de gauche aujourd’hui ? Si le mot « gauche » perd du sens, c’est en partie parce qu’il n’est plus relié à une perspective idéologique.
Le mouvement ouvrier est cantonné à des luttes défensives. Nous subissons la situation, et mettons l’essentiel de nos forces pour contrer les attaques. Mais à quel moment passe-t-on à l’offensive, collectivement, pas chacun de son côté ? Il me semble qu’il n’est pas possible de passer à l’offensive sans, dans un premier temps, avoir une réflexion poussée sur le programme politique, pour une autre société. Nous avions tenté de mettre cela en perspective au niveau local avec la liste « Poitiers Anticapitaliste » (voir clip ci-dessous), mais c’est à l’échelle internationale qu’il faut repenser un éco-socialisme du 21ème siècle. Pourquoi pas un manifeste ?
Se posera alors la question de l’organisation politique. Et là encore le chantier est grand. Puisqu’il faut redonner à notre classe sociale des outils pour lutter, pour s’organiser, pour élaborer. Des outils de masse et des outils plus petits. Des organisations spécifiques et des organisations plus globalisantes. Nous devons avoir de l’audace, tenter des coups, ce qui ne veut pas dire liquider l’histoire de notre courant politique, bien au contraire. Cela veut dire mettre notre savoir-faire au service de notre classe sociale, au service d’une organisation de masse, pour défendre une révolution éco-socialiste, appuyée sur les luttes auto-organisées.
Humblement, c’est ce que nous avons tenté de défendre sur Poitiers avec l’expérience « Poitiers anticapitaliste », un regroupement ouvert et radical. C’est ce que les camarades de « Bordeaux En Luttes » font aussi. Enfin, c’est dans cette perspective que nous défendons une initiative unitaire aux régionales.
Mais ces expériences seront sans lendemains s’il n’y a pas une mutualisation, et une organisation qui centralise. Nous avons besoin de neuf, de retenter le coup d’un « Nouveau Parti », qui ne peut être le NPA tout seul. Mais le NPA doit en être. Car sans un nouvel horizon émancipateur et sans une grande organisation démocratique pour le faire vivre, sans une perspective politique commune, nous serons spectateurs des crises politiques, qui ne deviendront jamais des crises révolutionnaires. Nous regardons, encore et toujours, passer les trains.
Alexandre Raguet