« Ne pas rire, ne pas pleurer, il faut comprendre » et rêver

Nous vivons une sombre période médiatico-politique. Ce weekend encore, nous avons eu droit à un déferlement de haine raciste, anti-musulmanEs, anti-LGBTIQ+, anti-femmes, anti-gauchistes, anti-journalistes… Zemmour, le nouveau candidat de l’extrême-droite, dans son premier meeting de sa campagne officielle ayant réunion plusieurs milliers de personnes, a égrainé ses différents thèmes de prédilections comme il le fait depuis des mois. Rien de nouveau sous le soleil du fascisme, les idées sont toujours les mêmes. Toutefois, quelques éléments sont à souligner : d’abord le peu de ralliements à sa candidature. Mis à part Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson (deux personnalités de la droite qui s’extrémisent depuis quelques années maintenant) et l’auto-proclamée porte-parole du début des Gilets Jaunes, Jacline Mouraud, Zemmour ne rassemble pas de personnalités médiatiques. Notons toutefois la présence au premier rang de son meeting, aux côtés des personnes susnommés, d’Eric Naulleau (qui va avoir de plus en plus de mal à se dire de gauche) et de Lorrain de Saint-Affrique, un proche de Jean-Marie Le Pen.

L’un des faits notable de ce dimanche, au-delà du contenu sur lequel d’autres reviendront (j’ai par ailleurs déjà publié des articles sur le fond politique de Zemmour ici https://poitiersanticapitaliste.org/zemmour-lance-sa-campagne-chez-praud/ ou là https://poitiersanticapitaliste.org/zemmour-ne-derape-pas-il-milite-pour-lextreme-droite/), est la violence des militants d’extrême-droite qui s’est dévoilé au grand jour. Là encore, il n’y a rien de nouveau. Les fascistes sont violents depuis toujours. Néanmoins, s’en prendre comme ils l’ont fait à des militantEs de SOS Racisme (juste parce qu’iels portaient des t-shirts « Non au racisme ») en plein meeting montre un niveau de confiance important chez eux. Idem pour les néo-nazis qui ont organisé des chasses de rue contre les militantEs antifascistes aux alentours du meeting de Villepinte. Il faut dire que le soutien médiatique et politique autour de Zemmour et ses idées aide bien ces nazillons. Rien que sur BFM-TV, dès le matin ça discutait de Zemmour, le meeting a été retransmis en direct et le soir une émission consacrée à Zemmour était diffusée… Et là est le principal danger : il est peu probable que ce candidat puisse remporter les élections. Mais la tribune dont il bénéficie donne des ailes à des militants d’extrême-droite qui se croient tout permis. Par ailleurs Zemmour, comme il est extrêmement sulfureux, rend Marine Le Pen plus fréquentable aux yeux des médias et d’une partie de la classe politique… Cette dernière l’a bien compris et renforce son statut de présidentiable. Pourtant sur le fond, Le Pen ne vaut mieux que Zemmour. Attention donc aux phénomènes de barrages, ils peuvent emmener très loin !

Résister

Il faut toutefois faire attention à ne pas confondre monde médiatique et vie réelle. La sur-représentation de l’extrême-droite ne veut pas dire que toute la population adhère à ses idées. Nous sommes extrêmement pollués par les sondages donnant une extrême-droite très haute et une gauche (toute réunie) très basse. Ne nions pas le danger de l’extrême-droite et du fascisme, ni même la faiblesse de la gauche. Simplement rappelons qu’une part très importante de la population ne vote pas ou plus. Ces gens ne sont ni macronistes, ni fascistes. Iels sont des travailleurEs, des chômeurEs, des jeunes, qui ne se retrouvent dans la politique d’aucun candidat ou parti. Iels subissent des politiques néo-libérales, racistes, homophobes, sexistes. Il y a un enjeu à s’adresser à cette classe sociale, une masse de gens qui n’a pas choisi de rejoindre l’extrême-droite et qui pourrait rejoindre un projet d’émancipation !

C’est pourquoi il ne faut pas uniquement voir le verre à moitié vide. Quelques milliers de personnes se sont retrouvées dans les rues de Barbès et quelques dizaines à Villepinte, dimanche, contre l’extrême-droite. Dans la semaine, Zemmour a été obligé de changer le lieu de son meeting face à la pression populaire. Cette dynamique antifasciste n’est pas suffisante pour le moment mais elle pose les jalons de la reconstruction d’un mouvement antifasciste conséquent dans ce pays. C’est une bonne nouvelle. Et d’autres résistances font battre le cœur de nos villes depuis plusieurs mois également : contre les LGBTIphobies, contre le patriarcat, contre le racisme et pour les solidarités. Ces luttes viennent majoritairement d’en-bas, elles sont auto-organisées par les personnes concernées elles-mêmes et permettent de donner des perspectives.

Reconstruire

Si la question de l’unité d’action est vitale pour combattre l’extrême-droite et pour faire reculer tous les projets scélérats du gouvernement, la petite musique sur l’union de la gauche nécessaire pour gagner dans les urnes est, en l’occurrence, un piège mortel. Pour deux raisons au moins. D’abord parce qu’aucune émancipation du genre humain ne passera par les élections de la république bourgeoise. Nous avons déjà eu la gauche au pouvoir. Systématiquement, elle mène des politiques capitalistes. Ensuite parce qu’il y a des gauches irréconciliables qui n’ont pas les mêmes projets. Il est entendable que le PCF, EELV, FI, cherchent à se mettre ensemble parce que dans les grandes lignes ils ont le même objectif : gagner les élections pour… gérer l’État à gauche. Mais comment des anticapitalistes pourraient-iels se retrouver là-dedans alors même qu’iels veulent renverser l’État ? Se rassembler, donc, pourquoi pas, mais avec qui, sur quelle stratégie, quel programme, quelle perspective ?

Autrement dit, la question n’est pas tellement de rassembler la gauche pour qu’elle accède au deuxième tour (et perde…), mais plutôt de savoir comment rassembler toutes celles et ceux qui luttent, qui résistent, qui subissent, autour d’un projet politique plaçant le social, l’écologie, la démocratie, la solidarité au centre et en donnant le pouvoir au plus grand nombre, ni à une femme ou un homme, ni à un parti. Cette vision-là, pour le NPA, c’est l’anticapitalisme. Nous présentons Philippe Poutou non-pas comme la solution à tous les problèmes, non-pas comme le sauveur de la France, mais parce qu’il représente ce que nous disons : quelqu’un d’en-bas, qui connaît la vie de la grande majorité de la population, et qui ne propose pas aux gens d’être un super président mais de prendre leurs affaires en main, de s’auto-organiser pour renverser cette société et en bâtir une nouvelle. La présidentielle peut être un temps fort pour faire entendre ce message. Plus ce message sera fort, plus nous gagnerons de militantEs, d’électrices et d’électeurs sur cette base, plus l’extrême-droite s’affaiblira, car c’est sur le fond et sur le terrain des luttes que nous devons emmener le débat politique. Il faut faire entrer le social au sens large dans cette séquence ! Au contraire, une gauche unie victorieuse ne ferait que renforcer l’extrême-droite à long terme puisqu’une fois au pouvoir, comme à son habitude, elle trahirait les attentes et renforcerait les désillusions et la fatalité.

Ce dont nous avons besoin, c’est de détermination, de « lente impatience » et de croire que le « possible » va se réaliser, ce qui nécessite de croire en nous-mêmes, en notre intelligence collective, notre force, nos idées.

« Ni la Providence, ni l’Histoire, ni la Science ne sauraient garantir une vérité définitive. Aucun jugement dernier ne prononcera jamais le dernier mot. La responsabilité de chacun(e) n’en est que plus engagée en permanence. La découverte scientifique, l’invention technique, la création artistique, l’événement politique, la rencontre amoureuse ont en commun de produire du nouveau authentique et d’engendrer des possibles inédits. En histoire comme en économie, il ne s’agit plus seulement de calculer des trajectoires, mais de déterminer le champ de ces possibles. La possibilité n’est certes pas encore la réalité, mais elle est déjà une part du réel qui peut advenir.

Que les lendemains, chantants ou non, ne soient plus exactement prévisibles n’implique pas que le présent déchiré de contradictions ouvertes soit désormais inintelligible. Renoncer aux prédictions historiques n’invalide pas les projets de transformation sociale. Le conflit demeure, et qui dit conflit dit choix, décision, pari raisonné entre plusieurs issues. « L’Histoire ne fait rien », mais nous la faisons, plus que jamais, pour le pire souvent, pour le meilleur parfois. Sans la belle assurance des croyances révolues, nous avons la terrible charge et l’exaltant défi laïque de « travailler pour l’incertain », selon la belle formule de saint Augustin. A quoi Pascal ajoutait : « Quand on travaille pour demain et pour l’incertain, on agit avec raison ». » Daniel Bensaïd, Travailler pour l’incertain.

Alexandre Raguet

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