Elections municipales obligent, les débats sur les enjeux locaux commencent à éclore à Poitiers. Le NPA a déjà lancé sa campagne politique il y a quelques semaines, en faisant notamment de la question des transports en commun gratuits une priorité sociale, écologique et démocratique.
Depuis, la canicule que nous avons vécue au mois de juin à montrer que l’urgence est bien là et qu’il est crucial de prendre des mesures drastiques pour améliorer la vie des gens.
Bien sûr, les transports publics ne peuvent à eux seuls modifier la donne. Toutefois, nous considérons, comme militants anticapitalistes, que ces mesures de bon sens permettent des prises de conscience plus globales.
La gestion contre la politique
Dans les prises de position « contre » (ou « au dessus de la mêlée », ni pour ni contre) les bus gratuits à Poitiers, nous constatons des récurrences. Du côté de EELV, et d’une partie importante de « Osons Poitiers 2020 » (même s’il y a des débats), on reprend souvent l’idée que la gratuité n’a pas d’intérêt puisqu’il y a des tarifs sociaux. Par ailleurs, pour eux, la gratuité est opposée à la qualité de service. Enfin, c’est un peu un mélange des deux premières critiques avancées, la gratuité n’est pas vue comme une mesure écologique puisque, selon eux, la mise en place de la gratuité ne favorise pas le passage de la voiture aux transports en commun.
En réalité, ces désaccords sont avant tout des désaccords politiques. Il n’est pas utile de débattre sur les chiffres, les expériences, les budgets, etc., sans avoir préalablement eu une discussion plus politico-philosophique : quelle société voulons-nous ?
Sur la plateforme « Osons Poitiers 2020 », la lecture des propositions et analyses de la gratuité des bus nous montre une réflexion essentiellement tournée sur l’aspect financier et sur l’aspect pratico-pratique. Cela fait très épicier. La rupture avec les principes marchands et capitalistes, même partielle, est absente. Pourtant, la logique gestionnaire est une logique qui oblige à gérer un système absolument ingérable si l’on tient un minimum à mettre en place un programme de gauche ! Les coupes budgétaires de l’Etat aux collectivités locales font que les municipalités gèrent de moins en moins de choses : cela engendre des politiques d’austérité ou encore des Partenariats Publics Privés (c’est-à-dire des formes partielles de privatisations). Il n’y a pas de « bonne gestion » possible. La gestion est automatiquement une compromission dans cette situation. Il faut donc assumer dès maintenant un principe fort : sans le soutien populaire, les mobilisations sociales, et la capacité à entraîner la population dans la rue et la grève, toutes propositions politiques conséquentes ne sera pas applicable ! Il faut assumer d’être du côté de la légitimité face à une légalité illégitime puisque injuste.
Dans ce contexte, discuter des bus gratuits uniquement par le prisme de la fonctionnalité nous réduit à faire de la politique comme des technocrates ou des gérants d’entreprises.
Les bus gratuits, une mesure écologiste ET sociale
Avant d’entrer plus précisément sur la problématique philosophique, je souhaite quand même revenir sur quelques informations chiffrées que donnent l’exemple de Dunkerque. En effet, la fréquentation des bus a largement augmenté : de 55% en général et jusqu’à 120% le weekend. À Dunkerque, on réfléchit même à développer l’idée « d’un bus toutes les 10 minutes » sur le plus de lignes possibles, afin que la qualité de service public soit au rendez-vous. L’opposition « fréquence/gratuité » ne tient donc pas la route. Nous sommes ici uniquement confrontés à une question de choix politique (absolument pas révolutionnaire) qui est la suivante : la gratuité des services publics.
« Mais la gratuité, ce n’est pas gratuit! ». C’est en général l’argument qui suit les premiers évoqués précédemment (et entre nous, c’est un argument de droite). On pourrait prendre la question dans un autre sens : lorsque l’on paye le bus, ne paye-t-on pas deux fois le service, une fois par le ticket et une fois par les impôts ? On en revient donc au vrai problème qui est la question des services publics qui doivent être financés par l’impôt, et notamment l’impôt des grandes entreprises et des grandes fortunes… À notre échelle, l’échelle locale, nous pourrions à minima augmenter au pallier le plus élevé la taxe « versement transport ». L’augmentation du « versement transport » ne pénaliserait même pas les entreprises puisque celles-ci n’auraient plus à rembourser les 50% des prix des abonnements aux transports publics de leurs salariés.
La valeur d’usage contre la valeur marchande
La tarification sociale des transports maintient l’idée que, lorsqu’on est pauvre, on doit prouver qu’on est pauvre, afin d’avoir le droit de prendre le bus moins cher. Bref, cette mesure « aide » les plus démunis, mais elle n’est pas une mesure sociale forte. Instaurer les bus gratuits permettrait au contraire de donner un accès égalitaire à un service public. Pour la majorité de la population, il s’agirait d’une avancée sociale. Pour les plus pauvres, il s’agirait avant tout d’une « facilitation ».
Par ailleurs, nous pouvons aussi questionner le modèle des entreprises des transports en commun. Nous considérons par exemple qu’il y a une gratuité de droite et une gratuité de gauche. Cette distinction est CENTRALE pour permettre que les bus gratuits ne soient pas seulement une mesure sociale mais aussi une mesure écologiste et sociétale. La gratuité de droite, c’est une gratuité qui privatise les transports. Cela bloque la défense des droits des salariés des transports (les salariés de Vitalis à Poitiers doivent avoir des conditions de travail décentes, des salaires corrects, etc.). La privatisation bloque également la possibilité de faire des investissements publics (personnels, bus plus écologiques, augmentation du parc, des voies, permettre l’intermodalité, pousser à des partenariats avec le département, la région, l’Etat pour rendre cohérente la politique de transports publics, etc.). Nous devons dire clairement que les bus doivent être GRATUITS et PUBLICS.
Enfin, et je conclurais là-dessus : nous devons penser les bus gratuits comme l’embryon d’un autre projet de société où « l’usage » prend le dessus sur « la marchandise ». Autrement dit : répondre à « nos besoins » avant ceux des diktats financiers et économiques. En réalité, l’économie est aussi une construction sociale. Le capitalisme construit sa force sur les croyances des gens en « la dette », « le budget », « la propriété », « la finance », etc. Mettre un bâton dans les roues de cette croyance, c’est faire un pas possible (enfin nous le pensons) vers une prise de conscience plus globale que ce monde inégalitaire, cruel, polluant, guerrier, tient aussi sur des croyances et qu’il est possible de faire autrement si on le décide, ensemble, et que, toujours ensemble, on est prêts à se battre contre l’ordre établit capitaliste.
Ce n’est pas une perspective simple, mais face à la triple crise sociale, écologique et démocratique que nous connaissons, c’est bien le seul chemin crédible sur lequel s’engager.
Alexandre Raguet
Il est bizarre de lire qu’Osons2020 se positionne CONTRE la gratuité alors qu’aucun texte ne le mentionne et qu’Osons2020 n’a pas encore eu le débat (ce qui ne saurait tardé). La plateforme est un lieu de débat où chacun-e est invité-e à s’exprimer à titre individuel https://osons2020.fr/assemblies/gratuite/f/93/
Sur Dunkerque, une étude plus fine des ..études (et pas seulement des articles de presse) invite à penser que l’usage moindre de la voiture en faveur du bus est dû aussi à l’efficacité du bus déjà existant, ce qui n’est vraiment le cas à Poitiers.
Enfin si on suit une logique telle que « la logique gestionnaire est une logique qui oblige à gérer un système absolument ingérable si l’on tient un minimum à mettre en place un programme de gauche ! Les coupes budgétaires de l’Etat aux collectivités locales font que les municipalités gèrent de moins en moins de choses : cela engendre des politiques d’austérité ou encore des Partenariats Publics Privés (c’est-à-dire des formes partielles de privatisations). Il n’y a pas de « bonne gestion » possible. La gestion est automatiquement une compromission dans cette situation », eh bien il n’y aurait pas de bus gratuit à Dunkerque.
J’invite chacun-e à avoir un débat sur le site d’Osons2020.fr
Il n’est pas écrit qu’Osons 2020 est contre les bus gratuits. La phrase exacte dit : « Contre (ou au-dessus de la mêlée, ni pour ni contre) ». Et il est même précisé qu’il y a des débats au sein d’Osons Poitiers 2020.
Par ailleurs, Christiane Fraysse, porte parole emblématique de Osons Poitiers 2020, est contre les bus gratuits. Mais le vrai sujet est : les arguments avancés. Et les arguments avancés dans ce texte sont ceux avancés sur la plateforme Osons.
Pour le reste, sur la question de la « gestion » et de la commune ingérable pour la gauche dans le cadre de l’ordolibéralisme, je persiste. Oui, il est possible de faire un certain nombre de choses « de bon sens », en faisant des choix forts. Mais la mise en place des bus gratuits induit, dans une logique gestionnaire, de faire des coupes ailleurs. Ces coupes peuvent se faire dans les projets inutiles, par exemple. Mais une fois fait cela, il y a d’autres projets.
L’exemple de Dunkerque est cité uniquement pour dire « c’est possible ». Mais Dunkerque n’est pas pour autant devenu un idéal d’écosocialisme. En soi, les bus gratuits sont une nécessité et pas une finalité. Et pour atteindre une « finalité » écosocialiste, oui, il faut se sortir de l’ornière de la gestion. Et par ailleurs, je ne comprends pas vraiment comment il peut y avoir un désaccord là dessus. Pour moi c’est le B.A.BA d’une formation marxiste.
Enfin, sur la plateforme Osons, j’en suis un lecteur, mais pas un acteur. Comme militant de gauche, je m’intéresse à ce que produit la gauche, de LO à EELV, mais j’avoue ne pas voir en quoi je devrais privilégier une collaboration politique avec Osons 2020 plutôt qu’avec les autres, sachant qu’Osons n’est pas un cadre politique unitaire, n’est pas un cadre de masse, et n’a pas, à mon goût, de programme et analyse à la hauteur de la situation.
Osons est en revanche un courant de la gauche poitevine, un partenaire évidant, au même titre que d’autres partenaires, politiques, syndicaux, associatifs ou citoyens.
Le débat peut donc avoir lieu un peu partout.
Bonne journée,
Alexandre