C’est le sujet qui a, sans doute, fait le plus débat entre les différentes composantes du groupe municipal « Osons Poitiers, écologique, sociale, solidaire et citoyenne », regroupant EELV, le NPA, le PG, Ensemble, et des citoyen-nes et militant-es non-membres d’une organisation politique.
Nous souhaitons dans ce texte reprendre le débat où nous l’avons laissé, non pas pour imposer telle ou telle position, mais simplement parce que nous pensons le débat utile et nécessaire, sur un sujet pour le moins crucial, du point de vue de l’écologie, du social, de la démocratie, du lien social dans notre ville, et dans toute l’agglomération, qui s’est d’ailleurs élargie encore plus avec la nouvelle réforme territoriale.
Le groupe rouge et vert (Osons) des dernières municipales poitevines s’était arrêté à un accord simple, mais extrêmement contraignant politiquement, à partir du moment où on est dans l’opposition. En effet, l’accord stipule bien que les transports en commun publics sont une priorité. Qu’il faut augmenter la fréquence des lignes de bus (un bus toutes les 10 minutes). Puis, comme il n’y avait pas accord sur la gratuité des transports (et sur le BHNS de surcroît) il a été acté l’idée « d’une étude sur la mise en place des transports publics gratuits », puis la tenue d’un référendum local, qui déciderait de la gratuité ou non. Chaque composante aurait alors fait la campagne qui lui convient. Le NPA étant pour la gratuité, nous n’avons jamais mis cette revendication dans notre poche, mais nous avons validé l’idée d’un référendum, en particulier parce que nous sommes convaincus que notre proposition trouverait un écho important dans la population, et cela nous permettrait de défendre la gratuité, sur la base de nos idées anticapitalistes.
Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que nous ne sommes pas majoritaires à Grand-Poitiers. Cela ne nous permet ni d’augmenter la fréquence des bus, ni de demander une étude publique, ni d’organiser un référendum. Or, s’il est possible de faire une campagne politique sur les transports tout en étant dans l’opposition, cela devient ardu avec des positions de « consensus ». En ce sens, Maryse Desbourdes, élue LCR-NPA, Alternatifs (et un temps GA-Ensemble), a eu plus d’écho dans la population en défendant une position claire et simple : les bus gratuits pour toutes et tous. Pourtant, elle était seule, et aujourd’hui, il y a 4 élu-es. Cela ne remet nullement en cause le travail des élu-es, nous posons simplement la question de l’efficacité lorsque l’on est dans l’opposition. Mais, aussi, nous souhaitons remettre sur la table notre position politique, la gratuité, qui nous semble plus que jamais nécessaire. Nous allons désormais expliquer pourquoi.
Tout d’abord, en partageant avec vous quelques documents et une vidéo. Vous trouverez ici le 4-pages avec les idées que portaient Maryse Desbourdes (qu’il faudrait retravailler avec des chiffres plus récents). Et donc une vidéo de Maryse D. publiée au moment des élections législatives de 2012.
Pour étayer notre propos, sur le « pourquoi il y a urgence à mettre en place les transports en commun gratuits », nous citerons, en plus des deux articles sus-nommés, un billet du journal l’Anticapitaliste, signé Patrick Le Moal, militant de Rouen, extrêmement actif sur cette question :
« Nul besoin de développer longuement la nécessité de diminuer la circulation automobile, responsable de plus d’un quart des gaz à effet de serre. Mais il est par exemple utile de rappeler que les particules fines (PM10 et PM 2,5) ont des effets sanitaires majeurs. Les plus fines (PM 2,5), regroupant les composés les plus toxiques et pénétrant plus profondément les voies respiratoires, seraient à elles seules pour l’Europe responsables d’une perte d’espérance de vie de 9 mois pour tous les habitantEs et de 386 000 décès prématurés. Une étude d’Air Parif de septembre 2011 indique que « Le trafic routier et en particulier l’échappement est la source majeure de PM 2,5. Il représente environ 50 % des concentrations mesurées. (…) Les véhicules diesel sont les principaux émetteurs de PM 2,5. » Ces données montrent l’importance d’une réduction radicale de la circulation automobile pour la santé. ».
Nous n’argumenterons pas plus longuement là-dessus, puisque nous sommes tous d’accords sur l’urgence écologique. Néanmoins, il est important de citer cela pour emmener les points suivants :
« Cette préoccupation essentielle rejoint celle des milieux populaires pour lesquels le prix des transports en commun est très lourd. Non seulement ces milieux sont souvent relégués dans de lointaines banlieues (dans lesquelles la pollution est pour diverses raisons plus importante que la moyenne), mais ils n’ont pas la possibilité de se déplacer librement. Car lorsqu’on paie, ce n’est pas la liberté. Et toutes les mesures sociales (gratuité pour les chômeurs, tarifs préférentiels pour les jeunes, etc.) ne sont pas des mesures pour donner une liberté, ce sont des mesures d’assistance, attribuées à celles et ceux qui peuvent prouver leur statut particulier. La gratuité doit être une gratuité d’émancipation, qui libère toute la circulation dans les villes. ».
On reste bien évidemment dans le domaine de l’argument pour un programme d’urgence, mais social cette fois-ci. Ce n’est pas moins important cela dit, puisque nous nous opposons de toutes nos forces à une écologie du rejet et de la culpabilisation des pauvres, ni même à une écologie de type « capitalisme vert ».
Pour nous, c’est avant tout « les besoins » des populations qui doivent guider l’action politique, car c’est du superflu, du productivisme, du tape à l’œil, de la société marchande et consumériste, en un mot du capitalisme (et des caricatures staliniennes ou pseudo-communistes) que viennent les crises écologiques. Plus loin, Patrick Le Moal répond aux opposants à la gratuité :
« Les opposants à la gratuité avancent deux arguments. Le premier est que tout a un coût, et donc que tout se paie. Mais les trottoirs, les jardins publics, l’école, ont eux aussi un coût… mais sont gratuits car la société a fait le choix à un moment précis de dire que ces services devaient être librement accessibles à toutes et tous. Faisons-le pour les transports, ce qui changerait la vie, comme le montrent les bilans des villes dans lesquelles elle est en place.
Le second est que cela coûterait trop cher. La Cour des comptes, pourtant très hostile à la gratuité, nous donne dans son rapport de 2015 des arguments. En 2012, les 9 milliards d’euros de dépenses pour les transports en commun étaient financés à 46 % par la taxe versement transport versée par les entreprises de plus de 11 salariéEs (9 jusqu’en décembre 2015, encore un frein du gouvernement aux transports en commun), à 35 % par les impôts locaux, et seulement à 17 % par les « recettes tarifaires ». C’est-à dire que la gratuité des transports en commun pour 27 millions d’utilisateurs coûterait aux environs de 2 milliards par an, sans compter les économies, par exemple en frais de santé. »
Besoin des populations ?
Le NPA, dans son programme d’urgence, défend, en plus des transports en commun gratuits, des mesures écologiques et sociales comme :
- la gratuité des besoins minimum en énergie (énergies renouvelables, nous sommes pour la sortie du nucléaire en 10 ans)
- la gratuité des premiers m3 d’eau, car l’eau est un bien commun, il faut taxer les gaspilleurs
- la gratuité ou quasi-gratuité des denrées alimentaires (avec la mise en place d’une agriculture biologique et paysanne)
- la gratuité de la restauration collectivepas un loyer à + de 20% du revenu (et gratuité pour les plus démunis, et pour les logements étudiants)
- gratuité de la santé et des médicaments (cela passe par un monopole public de l’industrie pharmaceutique, et donc la réquisition sans indémnités ni rachat de ses capitalistes qui se font de l’argent sur la santé des gens)
- la réquisition des banques, puis la création d’un monopôle public bancaire, afin de ne pas être dépendant des intérêts voraces et parasitaires des capitalistes. Cela s’accompagnerait de l’annulation de la dette illégitime, qui ne fait qu’enrichir les créanciers…etc etc etc
Les prémisses d’un autre monde possible
À partir de la proposition pour les transports en commun gratuits, qui nous concerne sur Poitiers (mais qui peut concerner toutes les villes de France et d’Europe, à minima), s’ouvre un champ des possibles exceptionnels pour qui aime la politique, au sens où celle-ci ne se cantonne pas à la gestion froide, mais où elle s’ouvre à des horizons meilleurs pour les populations. On fait toujours, a priori, de la politique pour changer le monde, pour le mieux, pour en finir avec les injustices. Il ne faut, à aucun moment, perdre cet objectif. Cela engendre le dégoût de la politique. On l’a vu, avec les trahisons de la gauche au pouvoir. On l’a vu aussi, à une autre échelle avec « le socialisme réellement existant ». En plus d’avoir été des régimes bureaucratiques recréant des dominations de petits groupes sur la majorité de la population, ces derniers ont sali l’image du communisme tel qu’il était imaginé pour celles et ceux qui y croyaient (et qui y croient encore).
À une plus petite échelle, celle de Poitiers, et de quelques élu-es, nous avons des responsabilités. Redonner « goût » à la politique, passe par faire de la politique, pas à l’éviter. Les Nuits debout ou la lutte des Gilets Jaunes, entre autres, en ont été une démonstration.
En militant-es anticapitalistes, nous pensons qu’il n’y a pas à mentir sur ses idées, à les cacher, à chercher une légitimité dans la gestion, et une crédibilité avec des mesures paraissant plus modérées. Au contraire ! Il faut bien évidemment rester connecter au réel, sans quoi nous serions marginalisés. Mais sans tomber dans le renoncement. C’est pour cela que le NPA cherche à avoir une approche équilibré, contrairement à de nombreux groupes parlant de révolution à longueur de temps sans donner de perspectives programmatiques et de mobilisations concrètes. Nous partons des besoins des gens réels (voir plus haut). Et il y a là un point de divergence avec la classe politique, y compris à gauche, sur la manière d’appréhender la politique : aux yeux de qui souhaitons-nous être crédibles ? De celles et ceux qui sont au pouvoir, qui tiennent le jeu médiatique ? Ou de celles et ceux qui vivent notre vie au quotidien, nos collègues, nos amis, nos voisins, nos camarades ? Nous devons créer notre propre paradigme idéologique, tout en partant des attentes réelles de la population. Il ne s’agit pas de tomber dans le populisme, et de reprendre ce que les gens disent, comme si les « travailleurs » étaient révolutionnaires et progressistes par essence. Mais il faut partir de la vie de toutes et tous, et penser nos propositions politiques comme permettant une prise de conscience globale des gens. Il est en cela aisé de comprendre que la gratuité des bus, par son aspect collectiviste, permet plus facilement que l’augmentation de la fréquence une compréhension de l’action politique comme possiblement émancipatrice, comme l’idée qu’un autre monde est possible. Dans ce sens, le livre Liberté, Egalité, Gratuité, sur l’expérience des bus gratuits à Aubagne, est fort intéressant.
Dans la même veine, un excellent billet de Michael Löwy, sur son blog Mediapart, montre que c’est la revendication pour les transports en commun gratuits qui a déclenché une mobilisation sans précédent au Brésil. Cette mobilisation massive a permis des centaines de discussions sur les besoins sociaux, sur les crises écologiques, sur la nécessité de s’organiser ensemble pour faire avancer des revendications de bons sens, c’est-à-dire des revendications anti-capitalistes, le capitalisme étant le contraire du bon sens. Or, le changement viendra UNIQUEMENT de la mobilisation massive des populations, par en bas, et pas des négociations dans les sommets climatiques, pas dans les participations aux exécutifs aux majorités socialistes, pas dans une attente miraculeuse d’une victoire électorale. C’est maintenant qu’il faut agir, qu’il faut mobiliser. Le NPA pense que cette démarche politique doit être défendue par le plus grand nombre de personnes. C’est pourquoi, nous voulons porter ces idées, et engager le débat puisque comme le dit M. Löwy à la fin de son texte : « L’enjeu n’est pas seulement le prix du billet de bus ou de metro, mais un autre mode de vie urbaine, un autre mode de vie tout court. ».