Keith Haring, artiste anticapitaliste ?

La toile de fond :
Keith Haring est né en 1958 en Pennsylvanie. Il arrive à New York en 1976 pour étudier à la School of Visual Arts. Il commence par expérimenter plusieurs disciplines, le collage, la peinture, la vidéo mais son support favori restera toujours le dessin. Inspiré par le pop’art et le graffiti, il propose un art accessible et profond, difficile à appréhender pour les adultes mais qui parle aux enfants de part sa simplicité et sa sincérité. Quand il arrive à New York, la ville est aux mains des puissants et au bord de la faillite. Le sud de Manhattan est désert et attire de jeunes artistes qui en font leur terrain d’expérimentation. La communauté artistique des années 80 se caractérise par une soif de liberté et d’absence de codes. Cet élan de renouveau culturel est favorisé par le contraste détonnant entre la ville lessivée et Wall Street en pleine expansion. Keith Haring a très vite voulu participer au mouvement Graffiti sans pour autant y être associé c’est-à-dire sans prendre la place des noirs et des latinos qui le composaient majoritairement. Il refusait d’être le « blanc de service ».

Le phénomène Keith Haring va naître en quelques semaines. Il commence par utiliser les espaces publicitaires vides des stations de métro. Puisque 90% des usagers du métro ne mettent jamais les pieds dans un musée d’art moderne, c’est son art qui fera le déplacement pour se montrer.

L’acculturation :
L’objectif est donc de ramener l’art dans la rue et de l’offrir aux gens. Il investit l’espace public et la ville entière devient une gigantesque galerie. Il dessine partout, tout le temps, se fait souvent arrêter par la police et force ainsi le monde de l’art et le monde tout court à le regarder.


A l’époque, on définit l’art de Soho comme renfermé sur lui-même : « white walls, white vine, white people ». 99% des artistes sont des hommes blancs. Ce sectarisme de l’art ennuie profondément Keith Haring qui le veut universel. C’est pourquoi dès sa première exposition, il fait intervenir des DJs et des breakdancers. Il leur offre une tribune et de leur côté ils complètent et démocratisent ses créations. Ses dessins représentent avant tout l’art de l’immédiat ; pas de croquis, pas de brouillon et donc pas d’erreur possible.


Pour rencontrer un public le plus large possible, il ouvre en 1986 son « Pop-Shop ». Il y vend ses produits dérivés (vêtements, posters) comme des œuvres au détail. Cette démarche est très controversée et il est accusé de rendre l’art trop accessible. Il voulait que n’importe qui puisse pour quelques dollars s’offrir un « truc de Keith Haring », une casquette, un t-shirt ou un crayon. Cette boutique bien que plébiscitée par les new yorkais sera un projet à perte pour l’artiste mais peu importe, il avait réussi à montrer que l’art n’avait rien à voir avec le marché de l’art. Toute son œuvre sera une critique politique de la société de consommation, du système et de l’économie de marché, une vraie démarche anticapitaliste.

La sémiotique :
Pour étudier les œuvres de Keith Haring, il faut tenter de décrypter son code visuel secret et ainsi revenir aux racines du langage. La sémiotique, l’étude des signes et de leur signification, fait ressortir des notions comme la domination, la soumission, l’argent ou encore les classes dirigeantes. Le musée Albertina de Vienne qui a mené des recherches approfondies en la matière va jusqu’à affirmer qu’il s’est inspiré des hiéroglyphes égyptiens. D’autres le comparent aux dessins des aborigènes d’Australie. Pour les yeux non experts de tout un chacun, il s’agit d’une sorte d’alphabet personnel et politiquement chargé.


Quelques exemples :

Le bébé rayonnant représente à la fois, le futur et la peur du nucléaire.
La foule signifie le front uni contre l’oppression mais aussi les peuples dupés par de faux dieux ou des dictateurs.
La croix est souvent un moyen de commettre des actes de torture ou de meurtre.
Le personnage à trou décrit l’humain en tant que cible.
L’altérité (homosexualité, couleur de peau), est représentée par un personnage en pointillé.

L’activisme politique :
En cherchant avant tout à démocratiser l’art, il a gagné sa renommée non pas grâce aux critiques d’art ou aux musées mais grâce au grand public. Pour lui l’artiste doit être le porte-parole de la société.

Tout au long de sa trop courte carrière, son travail sera profondément marqué par les évènements sociaux comme la chute du mur de Berlin, la menace nucléaire, l’apparition du SIDA, la guerre froide ou les jeux video.

Durant les deux dernières années de sa vie, Keith Haring accepte tous les projets qui lui sont proposés et parcourt le monde pour y laisse une trace. Il crée une fresque à Pise en Italie, une devanture d’immeuble en Australie, un décor de théâtre à Paris. Il brûle la chandelle par les deux bouts « pour qu’elle brille plus fort ».

Il meure en 1990, à 31 ans, de complications dues au SIDA, deux ans après son pote Jean Michel Basquiat.

Sa première exposition solo sera organisée par le musée d’art contemporain de Bordeaux. Les conservateurs américains trouvaient son style « trop proche de l’illustration ». La vérité c’est qu’il remettait en question tout leur système de pensée. Depuis sa mort, plus de 70 expositions lui ont été consacrées partout dans le monde.

Hélène Lanoue

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