Ce texte fût d’abord publié en septembre 2018. Nous le reproduisons ici, à moins d’1 an des élections municipales.
Une étude de l’Express vient de placer Poitiers 2ème ville de France où il fait le mieux vivre. Si l’on peut reconnaître que Poitiers est une ville agréable pour bien des aspects, ce petit texte, sous forme de parti pris individuel, vise à démontrer le caractère révoltant d’une telle communication, en particulier celle de la municipalité faisant de l’étude susnommée un bilan de sa gestion en vue des prochaines municipales.
L’objet de ce texte n’est pas de revenir sur le fond de l’étude. J’apprécie moi-même beaucoup Poitiers. Il s’agit plutôt de questionner l’intérêt d’une telle étude. D’abord, parce que cela est essentiel, en replaçant la question sociale au cœur de la discussion : la 2ème ville la plus agréable de France l’est-elle de la même manière pour le bourgeois de la rue de la Cathédrale que pour l’habitant du quartiers des Templiers à Beaulieu ? L’est-elle autant pour celui ou celle qui, vivant près de son boulot, peut faire le trajet en vélo ou à pieds et pour celui ou celle qui, ne pouvant se payer un loyer à Poitiers se coltine 30 minutes de voiture par jour (car les bus ne sont toujours pas gratuits) ? Poitiers a des terrasses où il fait si bon vivre au printemps ou en été, mais le bénéficiaire du RSA peut-il autant en profiter que les cadres supérieurs ?
La question sociale est au cœur des inégalités, et le fait de bien vivre découle directement de son niveau de rémunération (même si ce n’est pas le seul critère). Les questionnements ci-dessus permettent justement de rappeler l’absurdité d’une communication s’appuyant sur une étude inter-classiste.
Mais les questions sociales sont souvent insuffisantes pour comprendre le monde. C’est pareil à Poitiers. Et l’on peut ainsi continuer à poser des questions en intégrant, cette fois-ci, la logique des oppressions. Aussi, la ville de Poitiers est-elle aussi agréable pour le mec blanc de 35 ans buvant des bières avec ses potes que pour la jeune étudiante subissant les agressions à caractères sexistes ou sexuelles de certains de ces mêmes mecs en fin de soirée ? Poitiers est-elle aussi magnifique pour le promoteur immobilier s’appropriant des bâtiments du centre-ville par milliers de m2 et pour les mineurs isolés expulsés du squat qu’ils occupent en autogestion ? Poitiers la belle est-elle aussi tendre pour les mariés se rendant en famille à la messe le dimanche et pour le couple gay victime d’agression homophobe ? Poitiers est-elle vraiment la deuxième ville la plus agréable pour les prostituées de l’avenue de la Libération, pour les SDF, pour les migrants à la rue, pour les chômeur/ses et les travailleur/ses exploité.e.s ?
On pourrait ajouter qu’il est étonnant qu’une ville qui vend l’ancien théâtre pour en faire des commerces et des logements luxueux – si l’on croit un minimum à la culture comme élément du « bien vivre » – puisse avoir un tel classement. Ajoutons encore que la ville médaillée d’argent est aussi celle qui, alors qu’elle faisait abattre des arbres dans le quartiers de Beaulieu, a vu une militante de la LPO de plus de 70 ans se faire malmener par la police pour avoir poussé une barrière…
Ça fait beaucoup de monde à qui ça fait une belle jambe de savoir qu’ils vivent dans la 2ème ville de France où il fait le mieux vivre alors qu’eux-mêmes vivent un enfer…
On me rétorquera que les exemples que je pointe sont les mêmes à Paris, à Nantes, à Lille ou à Nice. Mais je ne cherche pas à dire que Poitiers est une ville invivable, je cherche simplement à dire que, alors que des migrants vont être expulsés de leur squat dans quelques jours, la mairie PS/PCF pourrait avoir la décence de se taire, ou de prendre position pour que l’ensemble des habitant.e.s puissent vraiment bien-vivre, et non pas subir.
Poitiers, 2ème ville, la moins pire, où il fait bon vivre ? Peut-être. Mais on est très loin du compte.
Alexandre Raguet